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Bio d’un personnage : cinq sens

Mon passé explique en partie mon présent. Native de la Côte-Nord, au Québec, j’aime la mer – à cet endroit, le fleuve Saint-Laurent est si large que la rive sud échappe au regard, son eau goûte le sel, ses vagues vont et viennent au rythme des marées. Si je vous parlais de mon coin de pays exposé aux vents et aux embruns, vous comprendriez pourquoi encore aujourd’hui j’aime les promenades sur la plage, la salade de crevettes et les villages pêcheurs disséminés sur la côte.

En théâtre, c’est un peu la même chose. Un personnage, même fictif, a un passé. S’il est tel qu’il est aujourd’hui (c’est-à-dire dans le texte de la pièce), c’est que certains événements l’ont, en quelque sorte, façonné. Une mère de famille épuisée, un professeur distrait, un adolescent en révolte, un athée cynique, une missionnaire compatissante… Logiquement, ces gens ont une histoire derrière eux.

Pour bien comprendre le présent de son personnage, il faut, en quelque sorte, reconstituer son passé. Mais comment faire? Je vous propose un exercice courant en théâtre, que j’appelle ici « La bio du personnage : cinq sens ».

La puissance des sens

Pourquoi utiliser les cinq sens – à savoir le goût, l’ouïe, le toucher, l’odorat et la vue? C’est qu’ils sont dotés d’une mémoire d’éléphant, ces sens! Pensez-y bien. Vous passez devant un café. Tout à coup, l’odeur d’un chocolat chaud vient chatouiller vos narines. Vos préoccupations s’envolent un moment… le temps pour vous de saisir les images qui surgissent soudain dans votre esprit! Vos plus beaux souvenirs d’enfance sont imprégnés de l’arôme et de la saveur du chocolat chaud… Vous fermez les paupières et s’animent alors les personnages qui ont marqué cette période de votre vie : votre mère, votre père et Chopin, le monstrueux chat gris qui n’avait de miaulements que pour le parfum de votre chocolat chaud! Vous venez de réveiller votre « mémoire affective »… Mais n’allons pas trop loin! Je développerai cette notion de mémoire affective dans un autre article.

Texte et sous-texte

De toute évidence, le texte lui-même fournit le plus grand nombre d’indices. Toutefois, il faut savoir aussi lire entre les lignes – considérer ce qu’on appelle le sous-texte – et, à la manière d’un détective, procéder par déductions. Pour faire l’exercice, prenons pour exemple Judith, personnage principal de la pièce La Perle. Essayons de reconstituer son passé grâce au texte, notamment à la scène 1 de l’acte 3. Il n’est pas écrit de façon explicite que Judith a fait de hautes études commerciales, mais nous savons qu’elle a eu assez d’instruction pour acquérir une bijouterie et la gérer avec succès. Au fil du dialogue entre Judith et sa nièce Christine, nous apprenons que la bijoutière habitait une maison de ville avec ses parents pendant son enfance. Après le décès de sa mère, elle est allée vivre chez sa sœur (mère de Christine) à la campagne. Devenue adulte, elle est retournée en ville tenir une bijouterie. Nous pouvons ajouter plusieurs autres détails par déduction, d’autant plus que Judith évoque certains souvenirs avec nostalgie.

Grille analytique

En découpant la vie de Judith en quatre périodes et en considérant de quelles manières ses sens ont été stimulés à chaque période, nous pouvons lui forger un passé plausible. Nous incorporons aux endroits appropriés les informations fournies par le texte et le sous-texte et nous obtenons un portrait qui ressemble à celui de la grille ci-dessous. (Ce portrait n’est pas exhaustif. Il ne constitue pas non plus le portrait unique qu’on pourrait faire de Judith. Le but de l’exercice consiste à inventer un passé réaliste.)

Le passé de Judith (La Perle)

  De 0 à 5 ans De 0 à 12 ans De 13 à 18 ans de 19 à 35 ans
GOÛT Lait, mets préparés par sa mère Mets préparés par sa mère Légumes du jardin, viande d’animaux élevés en plein air Nourriture de restaurants, mets surgelés
OUÏE Voix de ses parents, rires de sa sœur, bruits de la maison Bruit des classes, cris et rires d’enfants  dans la cour d’école Chants joyeux de la parenté, cris des animaux de la ferme Bruits de la ville
TOUCHER Tendresse de ses parents, peluches Idem, plus manuels scolaires, crayons Tendresse de sa sœur, animaux et outils de la ferme, herbe, foin Pierres et métaux précieux, billets de banque
ODORAT Parfum de sa mère, odeurs de la cour, de la ferme Idem plus odeur des livres, de la craie Herbe des champs, odeurs de l’étable Pollution, billets de banque, essence des voitures
VUE Lieux familiers, jouets, albums illustrés, famille Idem plus les jeux à la récréation, l’école Champs, amas de foin dans l’étable, animaux Bijoux, clients, hauts édifices, néons

Ainsi étoffés, les souvenirs de Judith nous montrent comment les cinq sens de la bijoutière peuvent avoir été sollicités dans le passé. Lorsque Judith soupire après des jours plus heureux, la comédienne saura à quoi son personnage fait allusion. Celle-ci pourra jouer avec plus de vérité la scène mentionnée plus haut.

Il arrive cependant que le texte n’offre aucun renseignement et ne permet pas la déduction. Il faut alors inventer un passé de toutes pièces.

À votre tour!

Essayez de faire cet exercice avec le personnage d’une pièce de votre choix, ou même avec un personnage de film ou de conte (Cendrillon ou Superman, pourquoi pas?). Téléchargez ici une grille analytique vierge et remplissez-la en vous basant d’abord sur les indices du texte et du sous-texte, puis comblez les espaces vides en faisant jouer votre imagination.

Laissez donc vos sens réveiller votre mémoire affective… et amusez-vous avec votre personnage!

La création d’une biographie à partir des cinq sens est un exercice très avantageux. Ce faisant, les comédiens apprennent à « connaître » davantage leur rôle et à donner à leur interprétation plus de profondeur, tout en projetant une image plus réaliste de leur personnage.

Lorraine

 

Évangile de Marc : découverte et mise en scène

Par Alain Combes

Découverte

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Un jour, dans le même temps, toute notre équipe de comédiens professionnels a fait la découverte du texte biblique. Ces paroles que nous lisions avec passion n’étaient pas comme les autres : elles bondissaient, elles faisaient « écho ». Si elles nous ont « touchés » et même « frappés », c’est que notre soif les appelait avec force. Mais leur écho était aussi une richesse d’images : nous voyions des événements et des personnages. L’écho donnait aussi la saveur des répliques, l’épaisseur des discours, la puissance des mots lâchés ici ou là tout au long de la Bible. Et encore plus, aussi grands que les mots : les silences, jamais indiqués mais que le texte suggère et que le lecteur attentif pressent.

Pour nous, hommes et femmes de spectacle, comment cette vie foisonnante pouvait-elle rester au bord de notre activité principale ? Nous avons voulu être la « caisse de résonance » de cette Parole qui bouleverse, lui livrer nos gestes, nos voix, le rythme de nos déplacements dans tout ce que nous présentions sur scène. Car la Bible est devenue « notre spectacle ». Non pas un spectacle pour échapper à la réalité du quotidien et se « divertir » de cette réalité, mais un spectacle pour – justement – saisir cette réalité. Et pour cela nous n’étions pas seulement les acteurs d’un texte, mais aussi les témoins d’un message. Ainsi, nous pouvions aborder l’Évangile de l’intérieur, c’est à dire que les mots, tellement intégrés, tellement «sus par cœur» en les entendant sortir de notre bouche, nous étions évangélisés les premiers, avant même les spectateurs. Nous « prêtions chair » aux personnages, un bref instant, le temps qu’ils nous effleurent, que nous en tirions leçon, que nous recevions un peu de ce qu’ils disaient de Dieu.

Rencontre

Et puis, il y a la rencontre sans cesse renouvelée avec Jésus. Jésus, qui est là au cœur de l’évangile d’une présence telle que c’est Lui, l’Évangile. Du coup, il n’est jamais un personnage, il est l’écho dont nous parlions au début, il est ce qui circule dans nos vies : les questions et les réponses, les attentes et les enthousiasmes, le rire et l’Espérance. Alors, s’il n’est pas un personnage, comment « prêter chair » à Jésus? C’est pourtant possible… puisque la grâce reçue à chaque représentation par ceux qui ont soif, c’est de sentir quelque chose de lui et d’apprendre un peu mieux à le connaître. 

Mise en scène

De ce contact violent et bouleversant pour nos vies est ressortie une pratique de mise en scène. C’est moi qui l’assumais, dans l’écoute de ce que notre équipe vivait. Au-delà d’histoires à raconter, il fallait mettre en scène le silence, c’est-à-dire d’abord apprécier « la trainée » des événements, leur résonance possible, puis laisser s’ouvrir les voies nouvelles que cette résonance suggérait. Il fallait laisser la place à ce qui pouvait se passer chez le spectateur devenu co-auteur.

 Ainsi, les gestes, les regards, les mouvements qui suivaient un silence devaient être portés, réinventés par ce que nous suggérait le texte. Et ce que nous donnions devait aussi être à l’écoute du public. Non seulement du public présent ici et maintenant, mais de nos contemporains croisés à chaque pas de chaque jour. En bref, nous voulions être à l’écoute du monde, de ses souffrances et de ses joies pour porter les paroles de l’Écriture et les laisser diffuser leur message. Il y a ce rendez-vous secret de chaque homme avec Dieu, et l’Écriture est le lieu de ce rendez-vous. Nous étions ceux qui disposaient l’espace et le temps pour ce rendez-vous. Le silence étant l’espace pour la réponse possible de chacun à la question du Dieu d’Amour : « Où es-tu? »

Concrètement : notre première expérience, l’Évangile selon Marc

 Les principes de travail de « Marc l’Évangile » étaient bien clairs… 

Adaptation et bases de travail

 Dans l’Évangile de Marc, le texte prend souvent la forme d’une narration ou d’un dialogue rapporté, pourtant, nous n’avons pas voulu le voir comme une alternance de récits, de dialogues et quelquefois de discours, mais nous avons voulu, sans trop nous soucier des formes, partir de sa « dynamique » de « parole pour tous ». Ce point de départ nous paraît d’ailleurs être celui de Marc qui annonce « la couleur » dès le début : « Commencement de l’Évangile concernant Jésus Christ, le Fils de Dieu… » (Voir aussi Jean : « Ceci a été écrit… ») À partir de là, nous essayions de laisser surgir les regards, les déplacements, les silences, même si le texte ne les mentionne pas. Car nous croyions que les récits rapportent des moments de vie, d’échanges, des réactions simples, que les dialogues naissent de situations, en bref que rien n’est fiction poétique. Notre rôle n’est pas de juger le texte mais de le laisser dire, avec nos corps, ce qu’il dit avec ses mots écrits.

 Ainsi, l’épisode du reniement de Pierre (Marc 14.72) résume le drame intérieur de Pierre en une courte phrase : « Et en y pensant, il pleurait. » Cette phrase se dit en deux secondes mais, dans notre mise en scène, nous avons choisi de développer cette prise de conscience de Pierre, et donc de nous rapprocher de la durée véritable de cette prise de conscience. On voit donc sur la scène le comédien se déplacer silencieusement pendant une minute et demie, et on peut sentir la progression « en lui » du drame intérieur.

 Rétablir des durées a été d’ailleurs notre souci primordial, tant il est évident que le texte ne mentionne pas à quelle vitesse on doit lire, les pauses qu’on doit faire, etc. Il est impossible de passer d’un événement à un autre sans laisser de temps, dès lors, il faut savoir mettre en scène ce temps, cette transition.

On en arrive donc assez vite à chercher les jointures, les liens entre les récits ou les dialogues et à « écrire » une série de silences qui permettent au texte de résonner, de rebondir, de se poursuivre. Ces silences sont des situations qui se prolongent ou s’appellent, sans être des scènes nouvelles rajoutées à l’Évangile.

Tous les déplacements sur scène sont pensés comme une chorégraphie, c’est-à-dire que les entrées, sorties, mouvements se vivent dans un rythme préétabli qui évolue au fil de l’action. Ainsi, nous tentons de mieux conduire l’attention du spectateur tout au long d’un texte dense et parfois surprenant. Le message de notre témoignage est indispensable : si l’Évangile est pour nous captivant, il doit apparaître captivant aux spectateurs.

Les quatre comédiens sont tour à tour un personnage ou un autre. Nous avons parfois un texte qui « éclate » dans plusieurs bouches, et d’autres fois, des dialogues plus intimes et personnalisés comme ils apparaissent dans l’Évangile.

 En ce qui concerne Jésus, les paraboles ou les phrases courtes qu’il prononçait sont dites indifféremment par un des quatre comédiens, hommes ou femmes; par contre, quand une situation nous fait retrouver un Jésus moins « paroles » mais plus « personne » nous avons préféré que Jésus soit un des deux comédiens hommes. Ce qui veut dire que deux comédiens sont alternativement Jésus. Non seulement ce choix ne gêne pas la compréhension, mais il est un élément très apprécié du public.

Jésus se reconnaît par ce qu’il dit et non par une apparence stéréotypée qu’on lui prête parfois. Jésus est Parole faite chair.

Une suite

Après « Marc l’Évangile », il y eut plus de vingt spectacles qui n’étaient pas des « mises en application » de nos principes de départ, mais qui s’en nourrissaient. Notre travail a toujours évolué, pour rester en prise avec le monde et sa sensibilité mais aussi pour rester en dialogue avec ce que nous devenions, nous et notre Foi. Nous, dans notre Foi.

À explorer

Article généreusement offert par Alain Combes

Le ton

Par Lorraine Hamilton

Vous a-t-on parlé du ton? Mais qu’attend-t-on? Et sur quel ton en parle-t-on? Sur un ton sérieux ou un ton léger? Sur un ton acerbe ou un ton plaisant? Sur un ton sévère ou un ton doux? Sur un ton dur ou un ton tendre? Sur un ton flatteur ou un ton sincère? Sur un ton grossier ou un ton aimable? Tant de tons racontent le ton, dit-on! Mais si l’on s’étonne de mon ton tonique, comment supportera-t-on mon ton tonnant?

Photo de Alexandre St-Louis sur Unsplash.com

Une grande partie de la communication verbale passe par le ton de la voix. C’est d’ailleurs grâce au ton que je peux deviner si mon interlocuteur est aimable ou glacial, s’il est sincère ou ironique, si son humeur est bonne ou maussade.

Le ton est la « qualité sonore d’une voix, en fonction de sa hauteur, de son intensité et de son timbre ». Le ton est la « façon de parler, qui révèle un sentiment, une intention ou qui est adaptée à une situation ». (Antidote)

Comment trouver le ton?

Il n’existe pas de règle fixe pour donner à un personnage le ton approprié. Imprégnez-vous du texte. Répétez, répétez et répétez! Chaque tirade contient des idées enveloppées d’émotions. Aussi, assimilez vos tirades, en réfléchissant bien au sens des mots. Tenez compte des différentes nuances et variations dans votre texte : silences, rythme, énumérations, hésitations, etc. Le sens juste mène au ton juste.

Voici trois exercices importants qui vous aideront à y parvenir.

1. L’étude du caractère du personnage est le point de départ. (Lisez à ce sujet L’étude du personnage). Grâce à cet exercice, on crée une « histoire » au personnage (âge, éducation, intérêts, etc.), qui permet de lui donner un ton général.

2. L’étude des diverses situations de chaque scène aide ensuite à teinter le ton d’une façon plus précise : situation urgente, détendue, inquiétante, etc.

3. Finalement, l’humeur ou l’émotion vécue dans chaque situation raffine le ton : amour, crainte, mépris, peur, tristesse, joie…

Exemple  M. Prudent, le personnage principal de la pièce Zone de sécurité, est rempli d’enthousiasme pour les projets de l’église, mais il connaît beaucoup d’insécurité : tantôt il est tout feu tout flammes, tantôt il a peur de se mouiller les pieds. Le ton de sa voix changera selon les situations qu’il vit : on sentira tantôt la détermination, tantôt l’hésitation et la crainte.

Appuyer sur les bons mots

De façon générale, l’idée précède les mots. L’idée se traduit en mots, et non le contraire – sauf pour des cas particuliers, comme la colère, où il arrive que les paroles précèdent les idées incohérentes.

Bien souvent, une phrase peut se résumer en un ou plusieurs mots clé. Sachez identifier ces mots clés, car c’est sur eux qu’il faut appuyer. Vous trouverez donc utile, sur votre copie du texte, de souligner les parties de chaque phrase que vous voulez mettre en évidence. C’est très personnel! Une interprétation se distinguera d’une autre, selon qu’on choisit de privilégier tel mot clé plutôt que tel autre.

Exemple  Dans le texte ci-dessous (extrait de Job 11.19 à 12.4), j’ai souligné les mots qui me semblent ressortir particulièrement. Mon choix a été motivé par le caractère de chaque personnage, la situation et l’émotion. Lisez ce texte à voix haute, d’abord sur un ton neutre, ensuite en mettant l’accent sur les mots soulignés. Sentez-vous la différence?

Tsophar: Tu te coucheras sans que personne ne te trouble. Mais les yeux des méchants seront consumés; pour eux point de refuge. La mort, voilà leur espérance!

Job: On dirait, en vérité, que le genre humain c’est vous, et qu’avec vous doit mourir la sagesse. J’ai tout aussi bien que vous de l’intelligence, moi. Je ne vous suis point inférieur. Et qui ne sait les choses que vous dites? Je suis pour mes amis un objet de raillerie.

 À éviter…

♦ Les clichés – ils déforment les émotions. Un cliché classique : pleurer en faisant des trémolos avec sa voix.

♦ Les phrases chantées – on pourrait les transcrire sur une portée musicale! Très énervant à entendre.

♦ Les phrases mécaniques – prononcées sans variation de ton, on dirait qu’elles sortent de la bouche d’un robot.

Exercice

Amusez-vous avec différents tons! Écrivez sur des bouts de papier les tons énumérés plus bas. Choisissez une phrase sans trop de signification, comme celles suggérées ci-dessous. À tour de rôle, les participants tirent au hasard un bout de papier puis montent sur scène pour dire la phrase sur le ton demandé.

Exemples de phrases neutres :  Où étiez-vous? ♦  Je l’ai vu ♦ Vous ne pouvez pas entrer ♦ Répète, s’il te plait

À dire sur un ton… résolu ♦  tranchant ♦ menaçant ♦ sévère ♦ froid ♦ sec ♦ doux ♦ affectueux ♦ grossier ♦ sage ♦ grave ♦ rageur ♦  sournois, ♦ flatteur ♦ hautain ♦ dédaigneux ♦ naïf ♦ surpris ♦ effrayé ♦ piteux ♦ triste ♦ tragique ♦ embarrassé ♦ ému ♦ triomphant ♦ boudeur ♦ timide ♦ hésitant ♦  amoureux ♦ ironique ♦ ému ♦  cérémonieux ♦ impatient ♦ haineux ♦ joyeux

Le cabotinage

Bob donne un coup de coude à son voisin.

– Hé, Max! T’as vu le soldat qui vient de foncer sur la colonne?
– Euh non… Je regardais Jésus…
– Non, mais, regarde-le : il trébuche devant Pilate!

On entend des rires étouffés dans la salle.

– Quel comique, ce type!
– T’as raison, Bob! Tombera… tombera pas… tombera… Ouf!
– Tordant!
– Euh… où il est rendu, Jésus? Il est sorti? J’en ai manqué un bout, moi!

Après la pièce :

– Franchement, celui qui a joué le soldat était génial!

Trouvez l’erreur.

Photo de Bernard Hermant sur Unsplash.com

La troupe a travaillé pendant trois mois pour présenter les derniers événements de la vie de Jésus. Le superobjectif de la pièce, « Jésus a donné sa vie pour nous sauver », était pourtant clair pour tous les comédiens. Malheureusement, les pitreries d’un seul ont fait dévier la flèche de son but.

Le cabotinage, parfois appelé flirt avec le public, consiste à « voler la vedette », à attirer sur soi, de façon volontaire, l’attention du public, au détriment de ses compagnons de scène. Le cabotinage est à l’antipode de la générosité, qualité importante à cultiver quand on est comédien.

Le cabotinage : à proscrire!

Si sa réplique ou son entrée en scène est drôle et qu’il sent le public y réagir, le comédien doit éviter d’en rajouter pour augmenter ou prolonger les rires. Si un autre est en train de dire sa réplique, il ne cherchera pas à attirer les regards sur lui-même. Plusieurs tombent dans ce piège des « minutes de gloire ». Gardez à l’esprit que la pièce est un travail d’équipe. Un joueur de basket-ball n’aurait jamais l’idée de faire une passe dans les gradins! Pourtant, c’est justement ce que fait le comédien qui cherche à amuser l’auditoire. Chaque équipier doit être entier à son équipe.

Il est important de comprendre que le cabotinage a pour effet de détourner l’attention de l’action qui se passe au même moment sur scène. Le spectateur devra nécessairement choisir entre observer les drôleries du cabotin et regarder la scène importante qui l’aidera à comprendre la progression de l’histoire. Trop souvent, hélas, les drôleries l’emportent.

Sur la scène – comme dans la vie d’ailleurs – il ne faut pas chercher à supplanter qui que ce soit, mais plutôt agir avec simplicité, humilité et générosité.

Lorraine

Le silence

Par Lorraine Hamilton

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Le silence est fait de paroles que l’on n’a pas dites.
Marguerite Yourcenar

Quel est le premier chemin qu’emprunte le cœur pour s’exprimer? La parole? Le geste? Le mouvement? La mimique? Qu’importe le véhicule qu’utilise l’émotion pour se faire entendre, elle ne sera comprise que si elle emprunte la voie du silence. Qu’il s’agisse d’un texte à dire, d’un mouvement à faire ou d’une immobilité volontaire, le jeu plein de silences soutenus intègre le « naturel » à votre rôle.

Le silence, un langage

Dans l’univers du silence, les pensées profondes et intimes se révèlent. Le silence permet de suivre la pensée qui se cache derrière les mots. Lorsqu’il est vécu, le silence fait bondir par son passage l’émotion que vit profondément le personnage. Il dévoile son cœur. Les paroles diluent trop souvent l’intensité de l’émotion. Sans le support du silence, la parole devient creuse, le geste inerte et la mimique inexpressive.

Le silence donne du relief au personnage

La scène est un lieu insécurisant. Face à l’auditoire, le comédien vit trop souvent l’urgence d’emplir les « trous vides ». Et ce qu’il trouve facilement à portée de main sont ses paroles mémorisées. Ses mots deviennent alors du verbiage. Il les utilise comme un sculpteur utiliserait du plâtre pour emplir les cavités d’une sculpture. Et si cette sculpture devenait intéressante justement à cause de son relief?

Laissez tomber la pudeur du silence. Vivez pleinement les émotions de votre personnage devant l’auditoire – sans mot. Votre personnage prendra vie, justement à cause de vos silences.

Le silence captive le spectateur

Lorsqu’il apprend à jouer ses silences tout autant que ses mots, le comédien « respire » son texte et entre « en communion » avec l’auditoire. Lorsqu’il s’amuse avec ces moments où le temps est interrompu, il découvre le plaisir de jouer avec vérité tout en renforçant les effets dramatiques de son jeu.

Si le spectateur sent qu’il s’agit de silences pleins, bien meublés, il les boit comme il boirait les paroles du personnage. Il comprend que l’apparence extérieure et les mots exprimés ne disent pas tout. Il peut réagir lui-même, en son for intérieur, aux pensées suscitées par ce qu’il voit sur la scène. C’est ainsi que le spectateur rencontre le comédien de l’intérieur, et c’est dans cette réceptivité qu’il s’identifie au personnage.

Le silence est le langage du cœur et de l’âme. Et non seulement suscite-t-il un dialogue intérieur, mais encore prépare-t-il les mots qui vont suivre – car ces derniers ne sont pas aussi éloquents que le silence. Ne privez pas l’audience de déguster vos silences, vides de paroles maladroites mais pleins d’émotions savoureuses, vécues… en silence.

Recette pour faire lever une réplique

Dans un grand bol de pensées…
– Mélangez 2 doses de silence.
– Ajoutez une cuillérée comble de mimique.
– Laissez agir 5 secondes.
– Brassez en ajoutant une autre bonne dose de silence.
– Saupoudrez allègrement d’un « geste » d’orange.
– Incorporez un regard expressif et franc.
– Faites glisser sur une réplique bien fraîche et lissée sur le ton approprié.
– Servez frais!

Rappelez-vous que le silence peut se servir à toutes les sauces, qu’il est excellent pour rehausser tous les textes et qu’il ajoute du piquant à des répliques fades en apparence. Il ne provoque aucune allergie et favorise même la respiration.

Exercices

Voici deux exercices simples qui vous aideront à développer les émotions que provoquent les silences. Observez-les, respirez-les, amplifiez-les! Et bon silence!

La lettre. À tour de rôle, chacun exprime par son regard seulement, la situation suivante: Vous lisez une lettre, qui se présente au premier abord comme une bonne nouvelle. Au fur et à mesure que vous la lisez, vous vous rendez compte qu’il s’agit d’une mauvaise nouvelle.

L’attente. Par groupe de quatre. Tous se retrouvent dans le cabinet d’un médecin. Exprimez sans paroles la progression d’une attente : patiente, détendue, impatiente, intolérable.


Voir aussi:
Les 14 langages de théâtre
L’air qui porte la flèche (ou: L’importance du silence)