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Le rire et les pleurs

Cet article est tiré de Drama Club Training Manual publié par DramaShare (2002). Il a été traduit et adapté par Chantal Bilodeau-Legendre avec l’aimable autorisation de DramaShare.

Nous vous invitons à lire également La mémoire affective et la Méthode.  Vous aurez peut-être aussi du plaisir à lire ce court article, Rire et pleurer.

Le rire

En théâtre, le rire est l’une des habiletés les plus difficiles à maitriser. Pourtant, il y occupe une place si importante que nous devons l’apprendre. Dans les faits, le rire se présente comme une réaction décontractée se produisant de façon spontanée. Sur la scène, en général, le comédien amateur est tendu, et non décontracté. Par conséquent, le rire ne lui vient pas avec naturel.

Photo de Ben White sur Unsplash.com

Vers qui pouvez-vous vous tourner pour apprendre à bien rire? Vers les gens de votre entourage! Observez-les et écoutez-les attentivement : vous constaterez qu’ils rient de toutes sortes de manières. Les uns s’esclaffent ou pouffent, les autres gloussent, reniflent ou grognent, d’autres encore se tapent sur les cuisses ou se tiennent les côtes. Cependant, toutes les formes de rire ont un point en commun : le son. Malheureusement, lorsqu’on voit des amateurs sur la scène, bien souvent on n’entend rien.

Remarquez une personne en train de rire. Ses muscles abdominaux se contractent soudainement et provoquent un enchainement de courtes expirations saccadées. En traversant le larynx, l’air expiré devient bruyant. Le halètement (comme celui du chien qui a chaud) est un bon exercice pour s’entrainer au rire : contractez les muscles du ventre en expirant, relâchez-les en inspirant. Tout en haletant ainsi, essayez d’émettre des sons – mais rappelez-vous de produire les « ha! » lorsque vous expulsez l’air par petits coups rapides. Ce genre d’exercice vous fera rire « jusqu’à en avoir mal au ventre », mais ne craignez rien : le mal n’est pas si terrible! Vous trouverez aussi utile de chanter des sons-voyelles tout en contractant les muscles du ventre : ha, ha, ha, ho, ho, ho, hi, hi, hi… Allez de l’aigu au grave, puis du grave à l’aigu.

N’oubliez jamais que ce n’est que par le mouvement rapide des muscles de l’abdomen que vous apprendrez à produire un rire crédible.

Les pleurs

Tout comme le rire, les pleurs requièrent des efforts. Quand on pleure, on halète et on cherche à reprendre son souffle, et c’est cette action qui est le plus crédible sur la scène. D’habitude, les sanglots se traduisent par des « oh » plus ou moins forts et plus ou moins intenses. Ils sont souvent « dans la gorge » et on essaie de « ravaler ses larmes » : la gorge se resserre et on inspire ou avale pendant un sanglot. Faites bien attention lorsque vous dites votre texte tout en pleurant : il ne faut pas que vos paroles soient étouffées ou « avalées » avec vos sanglots.

Photo de Kat J sur Unsplash.com

Observez aussi une personne qui pleure : tout son corps est engagé. Elle se mord les lèvres, ses sourcils se rapprochent, les muscles de son visage se crispent et se tordent.

Voici ce qu’a écrit Karen Dickson au sujet des pleurs : À mon avis, sur la scène, pleurer n’a rien à voir avec verser des larmes. D’ailleurs, si larmes il y a, c’est presque impossible que les spectateurs les voient. Par conséquent, le comédien doit communiquer les pleurs d’une façon plus visible. [… ]

Pensez à ce qui se passe quand vous pleurez réellement. D’abord, votre respiration change beaucoup. Vous tentez peut-être de retenir votre souffle pour contenir vos larmes, ou bien vous prenez de grandes inspirations pour retrouver votre contenance. Dans un cas comme dans l’autre, si vous essayez de parler et que vous êtes au bord des larmes, vous avez beaucoup de difficulté à maitriser votre voix. Vous bégayez, ou alors un mot sort brusquement en un cri. Et lorsqu’on reprend son souffle après avoir pleuré, il s’agit d’habitude d’une inspiration profonde.

Bien souvent, quand une personne pleure, elle se place les mains près du visage ou elle se cache les yeux – mais ce n’est pas la meilleure chose à faire en théâtre, puisqu’on cherche justement à montrer l’émotion. Vous pouvez choisir par exemple de fermer les yeux tout en vous couvrant la bouche, puis de vouter les épaules tout en les secouant légèrement au rythme des sanglots.

La plupart des gens qui pleurent oscillent entre la retenue et l’abandon. Pour jouer de façon plus crédible, essayez d’incorporer votre texte à vos pleurs. Imaginez qu’il vous faut dire « Je ne peux pas croire qu’il est mort! » Prononcez « mort » dans un crescendo de la voix (un peu comme lorsqu’on pose une question), la finale du mot ressemblant à une sorte de cri aigu. Vous pourriez aussi dire ce mot dans un décrescendo, et le « r », à la fin, devient comme un sanglot déchirant.

Si je dois jouer un personnage éploré, je tends à crisper mon visage. Pleurer vraiment est une action douloureuse pour n’importe qui, et je pense que tous, par nature, nous luttons contre nos propres pleurs lorsque nous pleurons. C’est pourquoi nous contractons les muscles des yeux, des joues… Nous sommes tous probablement différents, mais essayez de vous rappeler une occasion où vous avez pleuré sincèrement. Je suis sure que cela vous est déjà arrivé, même si vous n’êtes pas du genre à pleurer très souvent. […] À la maison, prenez le temps de réfléchir à l’aspect de votre visage, à votre posture, votre voix, votre respiration – car toutes ces choses sont altérées quand vous pleurez. Ensuite, concentrez-vous sur deux ou trois éléments clés et essayez de les reproduire pour les intégrer à votre jeu dramatique. […]

Montrez l’émotion et ne cherchez pas à avoir des larmes dans les yeux. C’est l’émotion elle-même qui touchera les spectateurs.

Que le Seigneur bénisse vos efforts. Ma prière est que vous parveniez avec succès à créer l’effet recherché et à transmettre l’émotion de votre personnage!


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Rire et pleurer

Par Chantal Bilodeau-Legendre

Le rire et les pleurs sont deux manifestations très courantes de nos émotions. Pourtant, ils sont souvent difficiles à rendre de façon crédible sur la scène. Et quoi de plus navrant qu’un rire mécanique ou des pleurs artificiels? Assez pour faire décrocher les spectateurs!

Je crois que l’observation demeure un moyen essentiel d’apprendre à jouer le rire ou les pleurs. Plus on examine « comment font les gens », plus on est en mesure de reproduire leurs actions avec sensibilité.

Je vous suggère de lire dans notre rubrique Interprétation l’article Le rire et les pleurs. Vous y trouverez des conseils et des techniques qui pourront surement vous aider dans votre interprétation.

Et pour vous mettre en train, jetez un coup d’œil sur un court métrage qui présente une hilarité générale dans le métro. La vidéaste Christine Rabette a réussi à montrer le caractère contagieux et bienfaisant du rire. En regardant ces images, je vous invite à observer les différentes « couleurs » dont le rire peut se revêtir: mimiques, sons, gestes. Cela pourrait vous inspirer. Amusez-vous!

Hey! Relaxe!

Par Chantal Bilodeau-Legendre

C’était la générale. Les enfants venaient de revêtir leurs costumes, abandonnant cà et là sur les fauteuils de l’auditorium manteaux et chandails. Pourtant, je les avais prévenus : je ne voulais rien voir trainer! Alors d’une voix forte, j’appelle tous mes petits comédiens et je les réprimande : « Qu’on ramasse au plus vite! » (J’abrège ici, bien sûr…) Tous s’exécutent de bonne grâce. Peu après, une amie qui a assisté à la scène m’invite gentiment à garder mon calme. Quoi? Moi? Je m’étais emportée?… Faut croire que oui…

En y repensant, les musiciens, les chanteurs, les divers responsables et techniciens présents ce jour-là avaient-ils besoin d’entendre la metteure en scène faire des reproches publiquement à sa troupe? Poser la question, c’est y répondre.

Garder son calme. Pas facile. Lorsqu’on gère une équipe de comédiens, les occasions ne manquent pas de perdre son sang-froid. Mais en tant que croyants, nous sommes appelés à porter le fruit de l’Esprit (Galates 5.22). Ce fruit excellent n’est-il pas composé, entre autres vertus, de patience, de bonté, de douceur, de maitrise de soi? Il doit être bien visible dans notre vie! Et dans le cadre de notre ministère de théâtre, nos comédiens doivent en bénéficier les premiers.

Lisez ici quelques conseils pratiques pour vous aider à garder votre calme. J’espère que ces conseils vous seront profitables. Bien entendu, le mieux serait de ne pas en avoir besoin… 🙂

Bonne lecture!

Mémoire affective et Méthode avec un grand M

Par Chantal Bilodeau-Legendre

La mémoire affective

Les jeunes tirent au hasard des bouts de papier sur lesquels l’animateur a écrit diverses émotions. Ils doivent les exprimer comme ça, à brûle-pourpoint. Joie. Inquiétude. Colère. Jalousie. Tristesse. Leur jeu fait très « cliché » : on se ronge les ongles frénétiquement, on saute sur place, on croise les bras l’air boudeur, on se contorsionne le visage pour simuler des pleurs. Ouf. Il y a de tout là-dedans – sauf de l’émotion.

Bon, ça va pour les exercices de théâtre – mais on ne peut décemment pas jouer « pour de vrai » en public en exprimant des caricatures d’émotions, surtout quand la pièce est tout sauf une parodie!

Comment reproduire des émotions qui viennent « d’en dedans », des tripes? Comment ne pas se limiter à une sorte de masque grotesque plaqué sur le visage? Comment être si crédible qu’on émouvra le spectateur au point de même lui arracher des larmes?

Il y a quelques décennies, Constantin Stanislavski a répondu à ces questions en développant la notion de mémoire affective et en élaborant sa fameuse « méthode ». Cette méthode a fait école, si bien qu’on parle encore aujourd’hui de LA Méthode, avec un grand M.

Lisez à ce sujet l’article de Lorraine : La mémoire affective et la Méthode.

Et si vous voulez en savoir davantage sur M. Stanislavski, allez jeter un coup d’oeil sur Wikipedia, ou bien lisez son célèbre ouvrage, La formation de l’acteur, aux Éditions Payot. Un classique.

La mémoire affective et la Méthode

Par Lorraine Hamilton

Les projecteurs baignent la scène de lumière. Comment y pleurer? rire? souffrir? aimer? appréhender? agoniser? La scène est un lieu où se côtoient les émotions les plus profondes, mais ce n’est pas toujours facile d’y être crédible!

Photo de Žygimantas Dukauskas sur Unsplash.com

Quelle est l’importance de vivre ou non une émotion sur scène? Le théâtre n’est-il pas que du théâtre après tout? Oui, évidement. Mais pas tout à fait. Réfléchissons au message (ou superobjectif) que nous désirons communiquer aux spectateurs. Comment se transmet-il? Généralement, il passe par le chemin des émotions. Appelons ce phénomène l’« effet d’identification » : le spectateur a, disons, un problème. Il observe de loin le héros qui se heurte au même problème que lui. Le héros trouve une solution et le spectateur, en s’identifiant à lui, peut s’approprier cette solution.

Vérité ou stéréotype?

L’émotion qui passe est comme un courant électrique : elle transporte avec elle beaucoup d’intensité. Mais tout comme le courant ne peut passer si un fil n’est pas branché, de même l’émotion ne passera pas s’il manque des « connections ».

Une vérité artistique est difficile à exprimer, mais elle ne lasse jamais. Elle devient plus agréable, pénètre plus profondément de jour en jour jusqu’à ce qu’elle domine l’être entier de l’artiste et son public. Un rôle qui est construit sur la vérité grandira, tandis que celui qui repose sur des stéréotypes se desséchera.  *

Pourtant il arrive, pour interpréter un rôle, que le comédien porte toute son attention sur l’émotion qu’il veut exprimer, comme la peur, la tristesse ou la joie. C’est une erreur. De nombreuses expériences de ce genre ont démontré qu’il est impossible d’exprimer une émotion en se concentrant sur l’émotion elle-même. La concentration doit plutôt se porter vers le sujet ou l’action qui provoque l’émotion.

Il est nécessaire de viser le plus possible l’interprétation juste et naturelle. Sinon, l’interprétation devient un jeu forcé. Le jeu forcé résulte de la recherche inadéquate du comédien qui, par exemple, se répète en lui-même : « Il faut que je reproduise la peur! ». Cette simple réflexion dresse une barrière infranchissable pour interpréter le sentiment désiré!

Serpents sournois…

Prenons l’exemple d’une scène où le personnage que vous jouez est prisonnier d’une grotte infestée de serpents. Les serpents risqueront de vous attaquer si vous ne trouvez pas un moyen de vous protéger. Votre sentiment dominant doit être la peur. De toute évidence, il vous sera tout à fait inutile de donner à votre visage l’« aspect » de la peur, ou encore de tenter d’imiter le sentiment lui-même pour arriver à bien le reproduire. Ce ne serait que superficiel.

Photo de Mostafa Meraji sur Unsplash.com

En fait, le point de départ ne doit pas être vous-même, mais plutôt l’objet qui devrait provoquer en vous la peur. Pour commencer, fermez les yeux et essayez d’imaginer les reptiles lovés tout près de vous… Les corps enchevêtrés glissent ici et là sur le rocher humide… Doucement, ils se déplacent, se redressent et vous cherchent du regard… Voyez-les qui s’avancent vers vous, leur langue fourchue s’agitant en va-et-vient nerveux et avides…

Le problème, c’est que les serpents ne courent pas les rues, dans votre ville. À vrai dire, vous n’avez vu ces bestioles qu’à la télé ou dans des livres. Comment allez-vous vous y prendre pour montrer que vous en avez peur?

La mémoire affective

On peut emprunter des vêtements, des perruques, du fard ou de la dentelle mais on ne peut pas emprunter des sentiments.

L’acteur ne construit pas son rôle avec la première chose qui lui tombe sous la main. Il choisit soigneusement parmi ses souvenirs, et trie parmi ses propres expériences les éléments les plus séduisants. Il tisse l’âme de son personnage de sentiments qui lui sont plus chers que ceux de sa vie ordinaire. Existe-il un terrain plus fertile pour l’inspiration? L’artiste choisit le meilleur de lui-même pour le porter sur la scène. Les formes peuvent varier, suivant les besoins de la pièce, mais les sentiments de l’artiste resteront vivants, irremplaçables. *

Faire un choix dans ses souvenirs? Trier ses expériences personnelles? Ah, mais voilà le secret des larmes bouleversantes de Juliette pour son Roméo! La comédienne avait certainement déjà vécu elle-même une peine d’amour! Et lorsqu’elle pleure, ce n’est certes pas en pensant à Roméo… mais plutôt à Roland ou à Gino!

Mais revenons à nos moutons… ou plutôt à nos serpents! Pour interpréter la scène de la peur, vous devrez chercher dans votre mémoire un épisode de votre vie où vous avez  vous-même vécu une peur semblable à celle des serpents. Ainsi, enfant, un violent orage vous a terrorisé au coeur de la nuit… Jeune adulte, dans un stationnement obscur, vous avez eu l’impression d’être suivi par un détraqué… Lorsque nous éveillons notre mémoire, il est surprenant d’y voir nos émotions ressortir presque intactes!

La Méthode

Mais qu’arrive-t-il lorsque le comédien ne parvient pas à éveiller sa propre mémoire affective? Il doit faire appel à la méthode du « si ».

Cette fameuse méthode du « si », mise de l’avant par Constantin Stanislavski, est beaucoup plus efficace que l’impitoyable « il faut que ». Lorsque l’interprétation demeure stérile pour lui, le levier du « si » pourra lui être d’un bon secours.

L’approche devient alors différente. Reprenons notre exemple. Vous butez toujours sur sur le pénible sentiment « forcé » de la peur. Au lieu d’essayer de reproduire cette émotion, abordez la question autrement en vous interrogeant :

SI des centaines de serpents se trouvaient dans cette pièce où je suis assis?
SI je devais me déplacer au milieu d’eux pour sortir de là?
SI cette porte-là était verrouillée de l’extérieur… et la fenêtre trop haute pour que j’y grimpe?

ALORS… Comment réagirais-je?

Il est étonnant de constater que le fait d’envisager la possibilité d’une situation nous dispose déjà à nous y préparer. Grâce au « si » nous pouvons concevoir une situation plus vivante plutôt que de nous acharner à provoquer un sentiment qui n’existe pas.

Sincère pour faire vrai

Que vous sollicitiez votre mémoire affective ou que vous appliquiez la Méthode, pensez toujours à jouer votre rôle avec vérité. Plus votre personnage parlera, jouera, marchera avec vérité, plus votre rôle s’enveloppera de sincérité. Le spectateur rencontrera l’émotion du personnage et votre message n’en sera que plus invitant pour lui.

Ce qui compte pour nous, c’est l’existence réelle de la vie intérieure d’un être humain dans un rôle, et la foi en cette réalité. *


* Les techniques décrites dans cet article s’inspirent des enseignements de Constantin Stanislavski dans son livre La formation de l’acteur  (Paris, Petite Bibliothèque Payot), d’où sont aussi tirées les citations.