Archives par mot-clé : Le comédien

Bio d’un personnage : cinq sens

Mon passé explique en partie mon présent. Native de la Côte-Nord, au Québec, j’aime la mer – à cet endroit, le fleuve Saint-Laurent est si large que la rive sud échappe au regard, son eau goûte le sel, ses vagues vont et viennent au rythme des marées. Si je vous parlais de mon coin de pays exposé aux vents et aux embruns, vous comprendriez pourquoi encore aujourd’hui j’aime les promenades sur la plage, la salade de crevettes et les villages pêcheurs disséminés sur la côte.

En théâtre, c’est un peu la même chose. Un personnage, même fictif, a un passé. S’il est tel qu’il est aujourd’hui (c’est-à-dire dans le texte de la pièce), c’est que certains événements l’ont, en quelque sorte, façonné. Une mère de famille épuisée, un professeur distrait, un adolescent en révolte, un athée cynique, une missionnaire compatissante… Logiquement, ces gens ont une histoire derrière eux.

Pour bien comprendre le présent de son personnage, il faut, en quelque sorte, reconstituer son passé. Mais comment faire? Je vous propose un exercice courant en théâtre, que j’appelle ici « La bio du personnage : cinq sens ».

La puissance des sens

Pourquoi utiliser les cinq sens – à savoir le goût, l’ouïe, le toucher, l’odorat et la vue? C’est qu’ils sont dotés d’une mémoire d’éléphant, ces sens! Pensez-y bien. Vous passez devant un café. Tout à coup, l’odeur d’un chocolat chaud vient chatouiller vos narines. Vos préoccupations s’envolent un moment… le temps pour vous de saisir les images qui surgissent soudain dans votre esprit! Vos plus beaux souvenirs d’enfance sont imprégnés de l’arôme et de la saveur du chocolat chaud… Vous fermez les paupières et s’animent alors les personnages qui ont marqué cette période de votre vie : votre mère, votre père et Chopin, le monstrueux chat gris qui n’avait de miaulements que pour le parfum de votre chocolat chaud! Vous venez de réveiller votre « mémoire affective »… Mais n’allons pas trop loin! Je développerai cette notion de mémoire affective dans un autre article.

Texte et sous-texte

De toute évidence, le texte lui-même fournit le plus grand nombre d’indices. Toutefois, il faut savoir aussi lire entre les lignes – considérer ce qu’on appelle le sous-texte – et, à la manière d’un détective, procéder par déductions. Pour faire l’exercice, prenons pour exemple Judith, personnage principal de la pièce La Perle. Essayons de reconstituer son passé grâce au texte, notamment à la scène 1 de l’acte 3. Il n’est pas écrit de façon explicite que Judith a fait de hautes études commerciales, mais nous savons qu’elle a eu assez d’instruction pour acquérir une bijouterie et la gérer avec succès. Au fil du dialogue entre Judith et sa nièce Christine, nous apprenons que la bijoutière habitait une maison de ville avec ses parents pendant son enfance. Après le décès de sa mère, elle est allée vivre chez sa sœur (mère de Christine) à la campagne. Devenue adulte, elle est retournée en ville tenir une bijouterie. Nous pouvons ajouter plusieurs autres détails par déduction, d’autant plus que Judith évoque certains souvenirs avec nostalgie.

Grille analytique

En découpant la vie de Judith en quatre périodes et en considérant de quelles manières ses sens ont été stimulés à chaque période, nous pouvons lui forger un passé plausible. Nous incorporons aux endroits appropriés les informations fournies par le texte et le sous-texte et nous obtenons un portrait qui ressemble à celui de la grille ci-dessous. (Ce portrait n’est pas exhaustif. Il ne constitue pas non plus le portrait unique qu’on pourrait faire de Judith. Le but de l’exercice consiste à inventer un passé réaliste.)

Le passé de Judith (La Perle)

  De 0 à 5 ans De 0 à 12 ans De 13 à 18 ans de 19 à 35 ans
GOÛT Lait, mets préparés par sa mère Mets préparés par sa mère Légumes du jardin, viande d’animaux élevés en plein air Nourriture de restaurants, mets surgelés
OUÏE Voix de ses parents, rires de sa sœur, bruits de la maison Bruit des classes, cris et rires d’enfants  dans la cour d’école Chants joyeux de la parenté, cris des animaux de la ferme Bruits de la ville
TOUCHER Tendresse de ses parents, peluches Idem, plus manuels scolaires, crayons Tendresse de sa sœur, animaux et outils de la ferme, herbe, foin Pierres et métaux précieux, billets de banque
ODORAT Parfum de sa mère, odeurs de la cour, de la ferme Idem plus odeur des livres, de la craie Herbe des champs, odeurs de l’étable Pollution, billets de banque, essence des voitures
VUE Lieux familiers, jouets, albums illustrés, famille Idem plus les jeux à la récréation, l’école Champs, amas de foin dans l’étable, animaux Bijoux, clients, hauts édifices, néons

Ainsi étoffés, les souvenirs de Judith nous montrent comment les cinq sens de la bijoutière peuvent avoir été sollicités dans le passé. Lorsque Judith soupire après des jours plus heureux, la comédienne saura à quoi son personnage fait allusion. Celle-ci pourra jouer avec plus de vérité la scène mentionnée plus haut.

Il arrive cependant que le texte n’offre aucun renseignement et ne permet pas la déduction. Il faut alors inventer un passé de toutes pièces.

À votre tour!

Essayez de faire cet exercice avec le personnage d’une pièce de votre choix, ou même avec un personnage de film ou de conte (Cendrillon ou Superman, pourquoi pas?). Téléchargez ici une grille analytique vierge et remplissez-la en vous basant d’abord sur les indices du texte et du sous-texte, puis comblez les espaces vides en faisant jouer votre imagination.

Laissez donc vos sens réveiller votre mémoire affective… et amusez-vous avec votre personnage!

La création d’une biographie à partir des cinq sens est un exercice très avantageux. Ce faisant, les comédiens apprennent à « connaître » davantage leur rôle et à donner à leur interprétation plus de profondeur, tout en projetant une image plus réaliste de leur personnage.

Lorraine

 

Le jeu dramatique et les enfants – Questions/Réponses

Par Chantal Bilodeau-Legendre

J’ai écrit cet article en 1999, pour le compte des Éditions Parfam. Je vous le propose ici revu et modifié, avec la permission de l’éditeur.

Photo de Jessica Rockowitz sur Unsplash.com

J’aimerais bien faire de l’art dramatique avec ma classe d’école du dimanche, mais je ne sais pas de quelle manière. Avez-vous des idées? – Embêté

Cher Embêté,

Voici plusieurs idées à exploiter…

  • Les enfants aiment jouer l’histoire, voir et manipuler des marionnettes, faire des mimes et des pantomimes, chanter des chants avec des gestes.
  • Les adolescents aiment bien les sketches, les mises en situation, les jeux de rôles et l’improvisation.
  • Les lectures vivantes de récits bibliques ou autres sont aussi appréciées de tous, sans parler de la narration d’histoires!

L’idée de faire du théâtre avec mes élèves me fait un peu peur. Pour la comédie, je ne suis pas très douée. S.V.P. Rassurez-moi! – Mlle Perpétue

Chère Mlle Perpétue,

Allons, allons, il s’agit simplement de faire semblant! On est loin de la comédie professionnelle! Faites semblant d’être Ruth glanant des épis, ou Marthe s’affairant dans sa cuisine, ou encore une infirme que Jésus guérit… Ne craignez pas d’avoir l’air « ridicule » : les enfants ne vous examinent pas d’un œil critique. L’imaginaire des petits est facilement stimulé. Très vite, ils entreront dans le jeu avec vous, oubliant quelques moments qu’ils sont dans une classe. Avec vous, ils seront dans un champ d’orge, ou aux pieds de Jésus. Commencez tout doucement, et voyez comme les enfants donnent facilement libre cours à leur imagination! Laissez-vous inspirer par leur simplicité et leur spontanéité.

Comment puis-je amener mes élèves à jouer l’histoire? – Désireuse de savoir

Chère Désireuse de savoir,

Après avoir raconté l’histoire biblique, posez quelques questions aux enfants pour évaluer ce qu’ils ont retenu ou compris. Ensuite, distribuez les rôles et remettez aux jeunes quelques accessoires ou éléments de costume. Accordez-leur quelques minutes pour se préparer, puis invitez-les à reconstituer le récit. Les plus petits aimeront peut-être faire cet exercice avec des figurines ou des marionnettes. Les plus âgés voudront probablement assurer eux-mêmes la répartition des rôles et choisir leurs accessoires. Ou encore, invitez les jeunes à mimer ou à jouer le récit pendant que vous en faites la narration. Avec la pratique, vos élèves deviendront de vrais experts!

Important : Ne critiquez pas le jeu des enfants, mais laissez ces derniers s’exprimer de façon spontanée. Votre but est de les amener à donner vie à un récit en improvisant. Vous n’êtes pas en train de préparer une pièce de théâtre. Si vous voulez que vos élèves s’habituent à jouer l’histoire d’une semaine à l’autre, ils doivent avoir du plaisir à le faire et ne pas se sentir « jugés ».

Très souvent, les manuels d’école du dimanche contiennent des suggestions intéressantes pour aider les moniteurs à jouer l’histoire. Explorez aussi les sites internet offrant des conseils pour les animations bibliques.

Les mises en situation proposées dans les manuels d’école du dimanche ne conviennent pas toujours à mes adolescents, et j’aimerais en formuler moi-même. Auriez-vous des conseils pour m’aider? – M. Jolicoeur

Cher M. Jolicoeur,

Considérez les situations offertes dans les manuels comme des tremplins pour stimuler votre imagination. À mon avis, la discussion et l’observation sont deux moyens efficaces de trouver des situations qui toucheront VOS élèves. Parlez avec eux de ce qu’ils vivent, des problèmes qu’ils connaissent à l’école, à la maison, avec leur groupe d’amis. Pression des pairs, cyberintimidation, remise en question des valeurs familiales, mise en doute des vérités bibliques,  hypersexualisation, interrogations quant à leur avenir, souci de leur apparence, etc., voilà autant de choses qui préoccupent les jeunes.

Observez aussi leur comportement quand ils sont à l’église. Mais sachez qu’ils ne s’y conduisent pas du tout comme lorsqu’ils sont avec leur bande de copains! Il vous faudra peut-être sortir du cadre de l’école du dimanche pour les voir à leur naturel. Inspirez-vous du vécu réel des ados. Et puis, pourquoi ne pas leur demander leur avis sur les mises en situations que vous proposez? S’ils trouvent qu’elles ne sont pas assez réalistes, modifiez-les en considérant leurs commentaires. D’ailleurs, pourquoi ne pas leur demander de suggérer eux-mêmes des situations? Vous serez peut-être surpris des résultats!

Nous voulons jouer une pièce d’environ 30 minutes devant toute l’assemblée, à Pâques. Nous songeons à remplacer l’enseignement du dimanche matin par nos répétitions. Serait-ce bien? Qu’en pensez-vous? – Une monitrice bien intentionnée

Chère Monitrice bien intentionnée,

Puisque la Bible ne parle ni d’école du dimanche ni de théâtre, nous ne pourrions dire si votre projet est « bien » ou « mal ». Par contre, soyons réalistes! De combien de temps disposez-vous le dimanche matin? Trois quarts d’heure? Une heure? Une pièce d’une demi-heure exige plus de travail qu’un simple sketch! Une répétition, si l’on veut inclure un temps de prière, deux ou trois exercices de théâtre pour se mettre en train ainsi que le travail de scène, devrait durer au moins deux heures.

Au rythme de 50 minutes par semaine, il vous faudra plusieurs semaines de travail. Chaque fois, vous aurez eu à peine le temps de vous mettre en train qu’il vous faudra arrêter. À mon avis, les répétitions en dehors de l’école du dimanche, témoignent du sérieux des jeunes et de leur désir de servir Dieu par leurs dons et leurs talents.

Si vous ne pouvez répéter à un autre moment, limitez-vous à une courte saynète, plus facile à préparer. Les élèves pourraient arriver une quinzaine de minutes à l’avance afin d’y travailler. Si, après coup, ils ont aimé l’expérience, tentez une pièce plus longue. Vous trouverez dans les diverses rubriques de notre site de nombreux conseils pour vous aider dans votre projet.

Chaque année, à Noël, toutes les classes d’école du dimanche présentent un numéro : chant, sketch, pantomime, etc. La dernière fois, la petite Loulou a pleuré tout le long de son numéro. Loulou est dans ma classe maintenant, et j’ai peur qu’elle fasse la même chose à Noël prochain. Devrais-je l’inclure ou non dans notre programme? – Pacifique

Cher Pacifique,

Avant tout, observez bien Loulou en classe. Est-elle timide avec ses compagnons? Préfère-t-elle manipuler des marionnettes derrière un rideau, plutôt que de dire un texte devant tout le monde? Aime-t-elle les pantomimes en groupe? Évaluez ses forces et ses faiblesses, et trouvez-lui un rôle qui pourrait lui convenir. Peut-être serait-elle heureuse de simplement figurer dans un groupe de bergers, ou encore de faire partie d’une chorale. Le jour de la représentation, si elle refuse de venir à l’avant, n’insistez pas. Vous ne voulez pas la traumatiser une autre fois! Les parents seront peut-être déçus… mais considérez avant tout le bien-être de Loulou. Si vous désirez qu’elle gagne de l’assurance et prenne plaisir à s’exprimer par l’art dramatique, soyez patient, respectez son rythme, aidez-la à apprivoiser sa crainte… et priez pour elle. Et rappelez-vous : vie chrétienne ne rime pas avec performance!

J’aimerais incorporer l’art dramatique aux réunions du club, mais cela me semble compliqué! – Comment faire?

Cher Comment faire,

L’idéal est de faire de ce projet un travail d’équipe. Un théâtre de marionnettes a sa place auprès des jeunes enfants. Des adolescents seraient peut-être heureux de collaborer : fabrication d’un castelet, confection et manipulation de marionnettes, rédaction de textes, etc. Les sketches sont aussi des éléments intéressants à incorporer au culte des enfants : ils permettent de transmettre de façon dynamique et amusante les vérités bibliques que vous désirez enseigner. Mettez en scène des personnages bibliques ou contemporains, auxquels les petits pourront s’identifier. Entourez-vous de gens compétents pour rédiger les dialogues et les jouer.

Rappelez-vous toutefois que la simplicité sera une bonne alliée. Les enfants ne sont pas si exigeants… à condition que leur attention soit saisie. Il n’est pas nécessaire d’avoir un décor ou des costumes sophistiqués quand la saynète est captivante.

Nos élèves et nous faisons régulièrement du théâtre. Nos petites pièces improvisées de 5 à 10 minutes sont parfois si jolies que nous pensons en faire profiter toute l’église. Serait-ce à propos? – Dédé et Dodo

Chers Dédé et Dodo,

Quelle belle idée! Les parents sont toujours heureux de voir ce que leurs enfants apprennent à l’école du dimanche ou au club. Parlez-en à la personne responsable ou à votre pasteur. Si vos élèves se sentent à l’aise avec un tel projet, vous pourriez reprendre un ou deux récits, les répéter un peu et présenter un petit programme à toute l’assemblée. Il n’est pas nécessaire que tout soit fignolé à la perfection!

Je veux me constituer un « coffre aux trésors » dans lequel je mettrais divers accessoires pour faire du théâtre avec les jeunes du club biblique. Quels articles me seraient le plus utiles? – Célestine

Chère Célestine,

Voici des articles bien pratiques :

  • Longs pans de tissu : draps, nappes, serviettes (pour faire des tuniques, des capes, etc.)
  • Foulards : à nouer autour du cou, de la tête ou de la taille
  • Chapeaux, gants, ceintures…
  • Cordons et épingles à linge : pour draper les tissus de diverses façons
  • Bâtons : pour simuler canne, épée, cheval, etc.

Rangez le tout dans un vrai coffre, un contenant en plastique, une armoire ou un placard. Pliez, empilez, suspendez: ce sera important de tout remettre en ordre, après utilisation. Ainsi vous ne perdrez pas de temps à trouver ce dont vous aurez besoin lors de la prochaine séance de jeu.

Amusez-vous bien!

Évangile de Marc : découverte et mise en scène

Par Alain Combes

Découverte

combe1

Un jour, dans le même temps, toute notre équipe de comédiens professionnels a fait la découverte du texte biblique. Ces paroles que nous lisions avec passion n’étaient pas comme les autres : elles bondissaient, elles faisaient « écho ». Si elles nous ont « touchés » et même « frappés », c’est que notre soif les appelait avec force. Mais leur écho était aussi une richesse d’images : nous voyions des événements et des personnages. L’écho donnait aussi la saveur des répliques, l’épaisseur des discours, la puissance des mots lâchés ici ou là tout au long de la Bible. Et encore plus, aussi grands que les mots : les silences, jamais indiqués mais que le texte suggère et que le lecteur attentif pressent.

Pour nous, hommes et femmes de spectacle, comment cette vie foisonnante pouvait-elle rester au bord de notre activité principale ? Nous avons voulu être la « caisse de résonance » de cette Parole qui bouleverse, lui livrer nos gestes, nos voix, le rythme de nos déplacements dans tout ce que nous présentions sur scène. Car la Bible est devenue « notre spectacle ». Non pas un spectacle pour échapper à la réalité du quotidien et se « divertir » de cette réalité, mais un spectacle pour – justement – saisir cette réalité. Et pour cela nous n’étions pas seulement les acteurs d’un texte, mais aussi les témoins d’un message. Ainsi, nous pouvions aborder l’Évangile de l’intérieur, c’est à dire que les mots, tellement intégrés, tellement «sus par cœur» en les entendant sortir de notre bouche, nous étions évangélisés les premiers, avant même les spectateurs. Nous « prêtions chair » aux personnages, un bref instant, le temps qu’ils nous effleurent, que nous en tirions leçon, que nous recevions un peu de ce qu’ils disaient de Dieu.

Rencontre

Et puis, il y a la rencontre sans cesse renouvelée avec Jésus. Jésus, qui est là au cœur de l’évangile d’une présence telle que c’est Lui, l’Évangile. Du coup, il n’est jamais un personnage, il est l’écho dont nous parlions au début, il est ce qui circule dans nos vies : les questions et les réponses, les attentes et les enthousiasmes, le rire et l’Espérance. Alors, s’il n’est pas un personnage, comment « prêter chair » à Jésus? C’est pourtant possible… puisque la grâce reçue à chaque représentation par ceux qui ont soif, c’est de sentir quelque chose de lui et d’apprendre un peu mieux à le connaître. 

Mise en scène

De ce contact violent et bouleversant pour nos vies est ressortie une pratique de mise en scène. C’est moi qui l’assumais, dans l’écoute de ce que notre équipe vivait. Au-delà d’histoires à raconter, il fallait mettre en scène le silence, c’est-à-dire d’abord apprécier « la trainée » des événements, leur résonance possible, puis laisser s’ouvrir les voies nouvelles que cette résonance suggérait. Il fallait laisser la place à ce qui pouvait se passer chez le spectateur devenu co-auteur.

 Ainsi, les gestes, les regards, les mouvements qui suivaient un silence devaient être portés, réinventés par ce que nous suggérait le texte. Et ce que nous donnions devait aussi être à l’écoute du public. Non seulement du public présent ici et maintenant, mais de nos contemporains croisés à chaque pas de chaque jour. En bref, nous voulions être à l’écoute du monde, de ses souffrances et de ses joies pour porter les paroles de l’Écriture et les laisser diffuser leur message. Il y a ce rendez-vous secret de chaque homme avec Dieu, et l’Écriture est le lieu de ce rendez-vous. Nous étions ceux qui disposaient l’espace et le temps pour ce rendez-vous. Le silence étant l’espace pour la réponse possible de chacun à la question du Dieu d’Amour : « Où es-tu? »

Concrètement : notre première expérience, l’Évangile selon Marc

 Les principes de travail de « Marc l’Évangile » étaient bien clairs… 

Adaptation et bases de travail

 Dans l’Évangile de Marc, le texte prend souvent la forme d’une narration ou d’un dialogue rapporté, pourtant, nous n’avons pas voulu le voir comme une alternance de récits, de dialogues et quelquefois de discours, mais nous avons voulu, sans trop nous soucier des formes, partir de sa « dynamique » de « parole pour tous ». Ce point de départ nous paraît d’ailleurs être celui de Marc qui annonce « la couleur » dès le début : « Commencement de l’Évangile concernant Jésus Christ, le Fils de Dieu… » (Voir aussi Jean : « Ceci a été écrit… ») À partir de là, nous essayions de laisser surgir les regards, les déplacements, les silences, même si le texte ne les mentionne pas. Car nous croyions que les récits rapportent des moments de vie, d’échanges, des réactions simples, que les dialogues naissent de situations, en bref que rien n’est fiction poétique. Notre rôle n’est pas de juger le texte mais de le laisser dire, avec nos corps, ce qu’il dit avec ses mots écrits.

 Ainsi, l’épisode du reniement de Pierre (Marc 14.72) résume le drame intérieur de Pierre en une courte phrase : « Et en y pensant, il pleurait. » Cette phrase se dit en deux secondes mais, dans notre mise en scène, nous avons choisi de développer cette prise de conscience de Pierre, et donc de nous rapprocher de la durée véritable de cette prise de conscience. On voit donc sur la scène le comédien se déplacer silencieusement pendant une minute et demie, et on peut sentir la progression « en lui » du drame intérieur.

 Rétablir des durées a été d’ailleurs notre souci primordial, tant il est évident que le texte ne mentionne pas à quelle vitesse on doit lire, les pauses qu’on doit faire, etc. Il est impossible de passer d’un événement à un autre sans laisser de temps, dès lors, il faut savoir mettre en scène ce temps, cette transition.

On en arrive donc assez vite à chercher les jointures, les liens entre les récits ou les dialogues et à « écrire » une série de silences qui permettent au texte de résonner, de rebondir, de se poursuivre. Ces silences sont des situations qui se prolongent ou s’appellent, sans être des scènes nouvelles rajoutées à l’Évangile.

Tous les déplacements sur scène sont pensés comme une chorégraphie, c’est-à-dire que les entrées, sorties, mouvements se vivent dans un rythme préétabli qui évolue au fil de l’action. Ainsi, nous tentons de mieux conduire l’attention du spectateur tout au long d’un texte dense et parfois surprenant. Le message de notre témoignage est indispensable : si l’Évangile est pour nous captivant, il doit apparaître captivant aux spectateurs.

Les quatre comédiens sont tour à tour un personnage ou un autre. Nous avons parfois un texte qui « éclate » dans plusieurs bouches, et d’autres fois, des dialogues plus intimes et personnalisés comme ils apparaissent dans l’Évangile.

 En ce qui concerne Jésus, les paraboles ou les phrases courtes qu’il prononçait sont dites indifféremment par un des quatre comédiens, hommes ou femmes; par contre, quand une situation nous fait retrouver un Jésus moins « paroles » mais plus « personne » nous avons préféré que Jésus soit un des deux comédiens hommes. Ce qui veut dire que deux comédiens sont alternativement Jésus. Non seulement ce choix ne gêne pas la compréhension, mais il est un élément très apprécié du public.

Jésus se reconnaît par ce qu’il dit et non par une apparence stéréotypée qu’on lui prête parfois. Jésus est Parole faite chair.

Une suite

Après « Marc l’Évangile », il y eut plus de vingt spectacles qui n’étaient pas des « mises en application » de nos principes de départ, mais qui s’en nourrissaient. Notre travail a toujours évolué, pour rester en prise avec le monde et sa sensibilité mais aussi pour rester en dialogue avec ce que nous devenions, nous et notre Foi. Nous, dans notre Foi.

À explorer

Article généreusement offert par Alain Combes

Supportez-vous!

Par Chantal Bilodeau-Legendre

« Oui, je fais du théâtre dans mon église, me dit la jeune femme. Mais je préfère travailler seule. C’est plus simple. »

C’est vrai qu’il est plus facile de limiter son ministère de théâtre à des monologues ou des mimes en solo. Pourtant, un ministère collectif (qui n’exclut pas nécessairement monologues et mimes en solo!) me semble tellement enrichissant! Enrichissant au sens de « profitable ».

supportez-vous3
Photo de Imagebase

Supportez-vous les uns les autres…

Le travail d’équipe est une occasion idéale de mettre cette exhortation de Paul en pratique! En effet, il exige l’apprentissage de la solidarité, du partage, de la patience, de la compassion, du don de soi. Comment apprendre à supporter les autres si on évite les contacts avec eux? Le théâtre en église offre une foule d’occasion de côtoyer des gens très différents de nous et d’être pour eux une source de soutien et d’encouragement.

… et si l’un de vous a quelque chose à reprocher à un autre…

Un ministère collectif comporte inévitablement son lot de frustrations. Des tempéraments opposés entrent en collision. Des divergences d’opinion surgissent. Des imprévus chez l’un ou chez l’autre bousculent l’horaire des répétitions. Il n’est pas rare que durant la production d’une pièce de théâtre certains participants finissent par se tomber sur les nerfs! Édith n’a pas mémorisé son texte. Julien fait le pitre durant les exercices de théâtre. Suzie est timide à en pleurer : on l’entend à peine quand elle parle. Jim et Joe ne cessent pas de s’asticoter quand la metteure en scène a le dos tourné… Pourquoi tous n’ont-ils pas le même degré de talent, de sérieux, de consécration? Pour la simple raison que chacun et chacune est unique – et pécheur par surcroit!

… pardonnez-vous mutuellement.

Le Seigneur vous a pardonné : vous aussi, pardonnez-vous de la même manière. Je crois que l’apprentissage du pardon « non-stop » est un avantage indéniable du travail d’équipe. Accepter les différences de l’autre (ou les « endurer »!) et lui pardonner ses erreurs et ses faiblesses, à l’exemple de Christ, voilà qui est formateur!

Car le théâtre en église n’est pas simplement un divertissement, mais d’abord et avant tout un lieu de rencontre pour ceux et celles qui veulent servir Dieu et porter son message par le moyen de l’expression dramatique. Et ce lieu de rencontre devient une occasion de croissance, tant pour les comédiens que pour les metteurs en scène et les techniciens. Si nous mettons en pratique les préceptes que Dieu nous donne, notre ministère portera du fruit non seulement au sein de l’équipe même, mais jusque dans le cœur des gens qui recevront notre message. Et alors, tout l’honneur rejaillira sur Dieu.


Les sous-titres ce texte correspondent à Colossiens 3.13. Citation extraite de la Bible Le Semeur. © Copyright 1992. Société biblique internationale. Avec permission.

 

Le ton

Par Lorraine Hamilton

Vous a-t-on parlé du ton? Mais qu’attend-t-on? Et sur quel ton en parle-t-on? Sur un ton sérieux ou un ton léger? Sur un ton acerbe ou un ton plaisant? Sur un ton sévère ou un ton doux? Sur un ton dur ou un ton tendre? Sur un ton flatteur ou un ton sincère? Sur un ton grossier ou un ton aimable? Tant de tons racontent le ton, dit-on! Mais si l’on s’étonne de mon ton tonique, comment supportera-t-on mon ton tonnant?

Photo de Alexandre St-Louis sur Unsplash.com

Une grande partie de la communication verbale passe par le ton de la voix. C’est d’ailleurs grâce au ton que je peux deviner si mon interlocuteur est aimable ou glacial, s’il est sincère ou ironique, si son humeur est bonne ou maussade.

Le ton est la « qualité sonore d’une voix, en fonction de sa hauteur, de son intensité et de son timbre ». Le ton est la « façon de parler, qui révèle un sentiment, une intention ou qui est adaptée à une situation ». (Antidote)

Comment trouver le ton?

Il n’existe pas de règle fixe pour donner à un personnage le ton approprié. Imprégnez-vous du texte. Répétez, répétez et répétez! Chaque tirade contient des idées enveloppées d’émotions. Aussi, assimilez vos tirades, en réfléchissant bien au sens des mots. Tenez compte des différentes nuances et variations dans votre texte : silences, rythme, énumérations, hésitations, etc. Le sens juste mène au ton juste.

Voici trois exercices importants qui vous aideront à y parvenir.

1. L’étude du caractère du personnage est le point de départ. (Lisez à ce sujet L’étude du personnage). Grâce à cet exercice, on crée une « histoire » au personnage (âge, éducation, intérêts, etc.), qui permet de lui donner un ton général.

2. L’étude des diverses situations de chaque scène aide ensuite à teinter le ton d’une façon plus précise : situation urgente, détendue, inquiétante, etc.

3. Finalement, l’humeur ou l’émotion vécue dans chaque situation raffine le ton : amour, crainte, mépris, peur, tristesse, joie…

Exemple  M. Prudent, le personnage principal de la pièce Zone de sécurité, est rempli d’enthousiasme pour les projets de l’église, mais il connaît beaucoup d’insécurité : tantôt il est tout feu tout flammes, tantôt il a peur de se mouiller les pieds. Le ton de sa voix changera selon les situations qu’il vit : on sentira tantôt la détermination, tantôt l’hésitation et la crainte.

Appuyer sur les bons mots

De façon générale, l’idée précède les mots. L’idée se traduit en mots, et non le contraire – sauf pour des cas particuliers, comme la colère, où il arrive que les paroles précèdent les idées incohérentes.

Bien souvent, une phrase peut se résumer en un ou plusieurs mots clé. Sachez identifier ces mots clés, car c’est sur eux qu’il faut appuyer. Vous trouverez donc utile, sur votre copie du texte, de souligner les parties de chaque phrase que vous voulez mettre en évidence. C’est très personnel! Une interprétation se distinguera d’une autre, selon qu’on choisit de privilégier tel mot clé plutôt que tel autre.

Exemple  Dans le texte ci-dessous (extrait de Job 11.19 à 12.4), j’ai souligné les mots qui me semblent ressortir particulièrement. Mon choix a été motivé par le caractère de chaque personnage, la situation et l’émotion. Lisez ce texte à voix haute, d’abord sur un ton neutre, ensuite en mettant l’accent sur les mots soulignés. Sentez-vous la différence?

Tsophar: Tu te coucheras sans que personne ne te trouble. Mais les yeux des méchants seront consumés; pour eux point de refuge. La mort, voilà leur espérance!

Job: On dirait, en vérité, que le genre humain c’est vous, et qu’avec vous doit mourir la sagesse. J’ai tout aussi bien que vous de l’intelligence, moi. Je ne vous suis point inférieur. Et qui ne sait les choses que vous dites? Je suis pour mes amis un objet de raillerie.

 À éviter…

♦ Les clichés – ils déforment les émotions. Un cliché classique : pleurer en faisant des trémolos avec sa voix.

♦ Les phrases chantées – on pourrait les transcrire sur une portée musicale! Très énervant à entendre.

♦ Les phrases mécaniques – prononcées sans variation de ton, on dirait qu’elles sortent de la bouche d’un robot.

Exercice

Amusez-vous avec différents tons! Écrivez sur des bouts de papier les tons énumérés plus bas. Choisissez une phrase sans trop de signification, comme celles suggérées ci-dessous. À tour de rôle, les participants tirent au hasard un bout de papier puis montent sur scène pour dire la phrase sur le ton demandé.

Exemples de phrases neutres :  Où étiez-vous? ♦  Je l’ai vu ♦ Vous ne pouvez pas entrer ♦ Répète, s’il te plait

À dire sur un ton… résolu ♦  tranchant ♦ menaçant ♦ sévère ♦ froid ♦ sec ♦ doux ♦ affectueux ♦ grossier ♦ sage ♦ grave ♦ rageur ♦  sournois, ♦ flatteur ♦ hautain ♦ dédaigneux ♦ naïf ♦ surpris ♦ effrayé ♦ piteux ♦ triste ♦ tragique ♦ embarrassé ♦ ému ♦ triomphant ♦ boudeur ♦ timide ♦ hésitant ♦  amoureux ♦ ironique ♦ ému ♦  cérémonieux ♦ impatient ♦ haineux ♦ joyeux