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Recrutement: quels critères?

Par Chantal Bilodeau-Legendre

Photo de Zhen Hu sur Unsplash.com

Parfois, on ne choisit pas nos comédiens. On prend tous les élèves de la classe d’école du dimanche, ou les jeunes du club biblique… D’autres fois, il nous faut recruter. Pour ma part, je ne fais pas passer d’audition. Même s’il m’est arrivé de me tromper par le passé, j’ai, en général, toujours réussi à former de belles équipes pour nos productions. Et cette délicate question du recrutement m’a inspiré ce petit sketch mettant en vedette les célèbres Bric et Brac.

Bric et Brac jouent au Scrabble.

Bric :   Alors, Brac, le programme de Noël?

Brac :    Nous travaillons fort depuis fin septembre. Les jeunes sont enthousiastes et ça me motive beaucoup!

Bric :   Combien de comédiens?

Brac :   Six ados.

Bric :   Comment les as-tu recrutés?

Brac :   Eh bien, j’ai…

Dring! Dring! Brac décroche.

Brac :   Allo?

M. Lustucru :  Bonsoir, Brac! M. Lustucru à l’appareil.

Brac :    Bonsoir, M. Lustucru! Qu’est-ce que je peux faire pour vous?

M. Lustucru :   Prendre mon fils dans votre troupe, pour le programme de Noël.

Brac :  Ah, hem… C’est que tous les rôles sont comblés et…

M. Lustucru :   Vous n’avez même pas fait d’annonce à l’église! Si j’avais su que vous faisiez une pièce pour Noël, je vous aurais envoyé Bobbipou. J’aime ça quand il fait du théâtre.

Brac :   Je vois.

M. Lustucru :    Bobbipou a beaucoup de talent.

Brac :   Je n’en doute pas.

M. Lustucru :    Je veux qu’il participe activement à la vie de l’église.

Brac :   Je comprends. (Silence.)

M. Lustucru :   Alors, qu’allez-vous faire?

Brac :   Eh bien, je retiens votre demande et je la considère pour notre prochaine production.

Lustucru :   C’est tout ce que vous avez à me dire? Bobbipou joue nettement mieux que le petit Schmourf!… (Pause.) Avez-vous pris le petit Schmourf encore cette année?

Brac :  Oui, j’ai pris le petit Schmourf.

M. Lustucru :   Quoi??? C’est complètement ridicule!

Brac :    Je ne comprends pas votre réaction.

M. Lustucru :   Le petit Schmourf n’a aucun talent en théâtre.

Brac :    Vous savez pourquoi j’aime travailler avec le petit Schmourf?

M. Lustucru :   Parce que sa mère est directrice de la chorale, je suppose.

Brac :   Oh non, pas du tout! Le petit Schmourf travaille fort, il apprend ses tirades selon l’échéancier, il encourage les autres, il accepte les critiques que je lui fais, il cherche à s’améliorer. D’ailleurs, il a fait de grands progrès. Sa présence dans notre équipe est une véritable bénédiction!

M. Lustucru :   (Silence.)

Brac :   M. Lustucru? M. Lustucru, vous êtes là?

M. Lustucru :   … Et le talent?

Brac :   Je ne recherche pas forcément des jeunes talentueux. L’attitude, la fidélité, le respect de l’autorité – voilà quelques-uns de mes critères quand je recrute des comédiens. Le talent, ça se travaille.

M. Lustucru :   Ah.

Brac :    Vous aimeriez vraiment que votre fils fasse partie de notre équipe… Mais à notre dernière production, le comportement de Bobbipou a été très éloquent… si vous voyez ce que je veux dire.

M. Lustucru :   (Se raclant la gorge) Oui, j’en conviens. Bobbipou traverse une passe difficile…

Brac :   Le pasteur m’a demandé de monter une pièce de théâtre et il m’a donné carte blanche pour le choix des comédiens. Je n’avais que six rôles. J’ai dû faire un choix, selon des critères importants pour moi.

M. Lustucru :   Oui, bien sûr. (Silence.)

Brac :   Si jamais Bobbipou veut faire du théâtre, encouragez-le à venir me voir. Nous pourrons bavarder, lui et moi. D’ailleurs, j’ai des projets pour juin prochain.

M. Lustucru :   Je vous remercie, Brac… Eh bien… bonne fin de soirée!

Brac :   Bonsoir, M. Lustucru!

Brac raccroche en soupirant et revient à Bric, qui a commencé à feuilleter un magazine en attendant.

Bric :   Un petit problème?

Brac :    Oh, moi? Non…

Bric :   Mais M. Lustucru, si?

Brac :   Peut-être.

Bric :   Tiens, pendant que tu bavardais au téléphone, j’ai placé un mot de sept lettres. RE-CRU-TE.

Brac :   Pas mal. (Plaçant ses lettres sur le tableau de jeu) Moi aussi, j’ai un mot de sept lettres… tiens… CRI-TÈ-RE! Et mot compte triple, en plus!

Mémoire affective et Méthode avec un grand M

Par Chantal Bilodeau-Legendre

La mémoire affective

Les jeunes tirent au hasard des bouts de papier sur lesquels l’animateur a écrit diverses émotions. Ils doivent les exprimer comme ça, à brûle-pourpoint. Joie. Inquiétude. Colère. Jalousie. Tristesse. Leur jeu fait très « cliché » : on se ronge les ongles frénétiquement, on saute sur place, on croise les bras l’air boudeur, on se contorsionne le visage pour simuler des pleurs. Ouf. Il y a de tout là-dedans – sauf de l’émotion.

Bon, ça va pour les exercices de théâtre – mais on ne peut décemment pas jouer « pour de vrai » en public en exprimant des caricatures d’émotions, surtout quand la pièce est tout sauf une parodie!

Comment reproduire des émotions qui viennent « d’en dedans », des tripes? Comment ne pas se limiter à une sorte de masque grotesque plaqué sur le visage? Comment être si crédible qu’on émouvra le spectateur au point de même lui arracher des larmes?

Il y a quelques décennies, Constantin Stanislavski a répondu à ces questions en développant la notion de mémoire affective et en élaborant sa fameuse « méthode ». Cette méthode a fait école, si bien qu’on parle encore aujourd’hui de LA Méthode, avec un grand M.

Lisez à ce sujet l’article de Lorraine : La mémoire affective et la Méthode.

Et si vous voulez en savoir davantage sur M. Stanislavski, allez jeter un coup d’oeil sur Wikipedia, ou bien lisez son célèbre ouvrage, La formation de l’acteur, aux Éditions Payot. Un classique.

La mémoire affective et la Méthode

Par Lorraine Hamilton

Les projecteurs baignent la scène de lumière. Comment y pleurer? rire? souffrir? aimer? appréhender? agoniser? La scène est un lieu où se côtoient les émotions les plus profondes, mais ce n’est pas toujours facile d’y être crédible!

Photo de Žygimantas Dukauskas sur Unsplash.com

Quelle est l’importance de vivre ou non une émotion sur scène? Le théâtre n’est-il pas que du théâtre après tout? Oui, évidement. Mais pas tout à fait. Réfléchissons au message (ou superobjectif) que nous désirons communiquer aux spectateurs. Comment se transmet-il? Généralement, il passe par le chemin des émotions. Appelons ce phénomène l’« effet d’identification » : le spectateur a, disons, un problème. Il observe de loin le héros qui se heurte au même problème que lui. Le héros trouve une solution et le spectateur, en s’identifiant à lui, peut s’approprier cette solution.

Vérité ou stéréotype?

L’émotion qui passe est comme un courant électrique : elle transporte avec elle beaucoup d’intensité. Mais tout comme le courant ne peut passer si un fil n’est pas branché, de même l’émotion ne passera pas s’il manque des « connections ».

Une vérité artistique est difficile à exprimer, mais elle ne lasse jamais. Elle devient plus agréable, pénètre plus profondément de jour en jour jusqu’à ce qu’elle domine l’être entier de l’artiste et son public. Un rôle qui est construit sur la vérité grandira, tandis que celui qui repose sur des stéréotypes se desséchera.  *

Pourtant il arrive, pour interpréter un rôle, que le comédien porte toute son attention sur l’émotion qu’il veut exprimer, comme la peur, la tristesse ou la joie. C’est une erreur. De nombreuses expériences de ce genre ont démontré qu’il est impossible d’exprimer une émotion en se concentrant sur l’émotion elle-même. La concentration doit plutôt se porter vers le sujet ou l’action qui provoque l’émotion.

Il est nécessaire de viser le plus possible l’interprétation juste et naturelle. Sinon, l’interprétation devient un jeu forcé. Le jeu forcé résulte de la recherche inadéquate du comédien qui, par exemple, se répète en lui-même : « Il faut que je reproduise la peur! ». Cette simple réflexion dresse une barrière infranchissable pour interpréter le sentiment désiré!

Serpents sournois…

Prenons l’exemple d’une scène où le personnage que vous jouez est prisonnier d’une grotte infestée de serpents. Les serpents risqueront de vous attaquer si vous ne trouvez pas un moyen de vous protéger. Votre sentiment dominant doit être la peur. De toute évidence, il vous sera tout à fait inutile de donner à votre visage l’« aspect » de la peur, ou encore de tenter d’imiter le sentiment lui-même pour arriver à bien le reproduire. Ce ne serait que superficiel.

Photo de Mostafa Meraji sur Unsplash.com

En fait, le point de départ ne doit pas être vous-même, mais plutôt l’objet qui devrait provoquer en vous la peur. Pour commencer, fermez les yeux et essayez d’imaginer les reptiles lovés tout près de vous… Les corps enchevêtrés glissent ici et là sur le rocher humide… Doucement, ils se déplacent, se redressent et vous cherchent du regard… Voyez-les qui s’avancent vers vous, leur langue fourchue s’agitant en va-et-vient nerveux et avides…

Le problème, c’est que les serpents ne courent pas les rues, dans votre ville. À vrai dire, vous n’avez vu ces bestioles qu’à la télé ou dans des livres. Comment allez-vous vous y prendre pour montrer que vous en avez peur?

La mémoire affective

On peut emprunter des vêtements, des perruques, du fard ou de la dentelle mais on ne peut pas emprunter des sentiments.

L’acteur ne construit pas son rôle avec la première chose qui lui tombe sous la main. Il choisit soigneusement parmi ses souvenirs, et trie parmi ses propres expériences les éléments les plus séduisants. Il tisse l’âme de son personnage de sentiments qui lui sont plus chers que ceux de sa vie ordinaire. Existe-il un terrain plus fertile pour l’inspiration? L’artiste choisit le meilleur de lui-même pour le porter sur la scène. Les formes peuvent varier, suivant les besoins de la pièce, mais les sentiments de l’artiste resteront vivants, irremplaçables. *

Faire un choix dans ses souvenirs? Trier ses expériences personnelles? Ah, mais voilà le secret des larmes bouleversantes de Juliette pour son Roméo! La comédienne avait certainement déjà vécu elle-même une peine d’amour! Et lorsqu’elle pleure, ce n’est certes pas en pensant à Roméo… mais plutôt à Roland ou à Gino!

Mais revenons à nos moutons… ou plutôt à nos serpents! Pour interpréter la scène de la peur, vous devrez chercher dans votre mémoire un épisode de votre vie où vous avez  vous-même vécu une peur semblable à celle des serpents. Ainsi, enfant, un violent orage vous a terrorisé au coeur de la nuit… Jeune adulte, dans un stationnement obscur, vous avez eu l’impression d’être suivi par un détraqué… Lorsque nous éveillons notre mémoire, il est surprenant d’y voir nos émotions ressortir presque intactes!

La Méthode

Mais qu’arrive-t-il lorsque le comédien ne parvient pas à éveiller sa propre mémoire affective? Il doit faire appel à la méthode du « si ».

Cette fameuse méthode du « si », mise de l’avant par Constantin Stanislavski, est beaucoup plus efficace que l’impitoyable « il faut que ». Lorsque l’interprétation demeure stérile pour lui, le levier du « si » pourra lui être d’un bon secours.

L’approche devient alors différente. Reprenons notre exemple. Vous butez toujours sur sur le pénible sentiment « forcé » de la peur. Au lieu d’essayer de reproduire cette émotion, abordez la question autrement en vous interrogeant :

SI des centaines de serpents se trouvaient dans cette pièce où je suis assis?
SI je devais me déplacer au milieu d’eux pour sortir de là?
SI cette porte-là était verrouillée de l’extérieur… et la fenêtre trop haute pour que j’y grimpe?

ALORS… Comment réagirais-je?

Il est étonnant de constater que le fait d’envisager la possibilité d’une situation nous dispose déjà à nous y préparer. Grâce au « si » nous pouvons concevoir une situation plus vivante plutôt que de nous acharner à provoquer un sentiment qui n’existe pas.

Sincère pour faire vrai

Que vous sollicitiez votre mémoire affective ou que vous appliquiez la Méthode, pensez toujours à jouer votre rôle avec vérité. Plus votre personnage parlera, jouera, marchera avec vérité, plus votre rôle s’enveloppera de sincérité. Le spectateur rencontrera l’émotion du personnage et votre message n’en sera que plus invitant pour lui.

Ce qui compte pour nous, c’est l’existence réelle de la vie intérieure d’un être humain dans un rôle, et la foi en cette réalité. *


* Les techniques décrites dans cet article s’inspirent des enseignements de Constantin Stanislavski dans son livre La formation de l’acteur  (Paris, Petite Bibliothèque Payot), d’où sont aussi tirées les citations.

Deux feux?

Par Chantal Bilodeau-Legendre

Photo de Maxim Tajer sur Unsplash.com

Cette comédienne a le feu sacré, entend-on parfois. Par ces mots, on désigne la passion intérieure, l’enthousiasme, l’inspiration qui l’animent. Avoir le « feu sacré » en théâtre est souvent très exaltant – on joue comme habité par son personnage, porté par un élan, et c’est « magique » chaque fois qu’on monte sur les planches.

Le théâtre avait cet effet « magique » sur moi à l’adolescence. Cependant, lorsque j’ai embrassé la foi chrétienne, un autre feu s’est allumé dans mon cœur. Après un certain temps, je me suis rendu compte que je ne pouvais pas entretenir deux feux en même temps. Inévitablement, l’un des deux allait être négligé… et je craignais, si je poursuivais des études exclusivement en théâtre, d’être poussée à faire des compromis avec mes valeurs nouvelles.

Parvenue à un carrefour dans mes études, j’ai opté pour une profession plus « sérieuse » (la traduction) en me disant que, diplôme en poche, j’allais pouvoir quand même faire du théâtre comme un à-côté. Avec les années, j’ai découvert que je pouvais vraiment faire du théâtre, sans faire de compromis avec ma foi. Mais au début, dans mon petit patelin, j’étais plutôt isolée et à court de moyens…

Je suis certaine de ne pas être la seule à avoir vécu une telle situation. Encore aujourd’hui, d’autres vivent un dilemme semblable: comment assujettir ses talents à ses convictions? Je crois que nombreux sont les croyants qui, animés d’un feu pour le Seigneur, brûlent de l’exprimer par le moyen du théâtre – ou par toute autre forme d’expression artistique (mime, manipulation de marionnettes, danse, etc.).

Lorraine et moi espérons que les nombreuses ressources offertes gratuitement sur notre site contribueront à l’avancement de l’art dramatique (et de l’écriture) dans le monde évangélique. Qu’elles seront pour vous une importante source d’inspiration.

Si vous avez des témoignages, n’hésitez pas à nous écrire à theatre.evangelique@gmail.com pour nous les partager. Que le Seigneur vous rende féconds à son service!

L’étude avant le jeu…

Par Chantal Bilodeau-Legendre

Photo de Green Chameleon sur Unsplash.com

Pour la plupart des comédiens, le JEU est l’aspect le plus intéressant du théâtre – le plus amusant, aussi!  Improvisation, exercices de théâtre, travail de scène, voilà autant d’activités où les habiletés naturelles ou acquises de chacun et chacune sont le plus mises à profit.

Cependant, il arrive trop souvent qu’on néglige un aspect important de l’activité théâtrale : l’étude du personnage. Rares sont les enfants qui préfèrent l’étude au jeu… Et peu nombreux sont les comédiens amateurs qui étudient leur personnage à fond avant de jouer!

Pourtant, l’étude du personnage est essentielle au jeu crédible. Si nous voulons « accrocher » le public par notre interprétation, si nous désirons qu’il s’identifie à notre personnage, il faut d’abord nous approprier ce personnage. Et nous ne pourrons pas jouer un rôle avec profondeur et sensibilité si nous nous limitons aux mots du texte. Il faut aller plus loin, creuser le script… et inventer au besoin pour combler de façon réaliste ce que le texte ne nous révèle pas.

Lorsque vous commencez à étudier un rôle, vous devez d’abord rassembler tous les matériaux qui s’y rapportent. Ensuite, vous les compléterez par l’imagination, jusqu’à ce que vous ayez réalisé une telle ressemblance avec la vie qu’il vous soit facile de croire en ce que vous faites.  (Constantin Stanislavski, La formation de l’acteur, chapitre 3)

L’approche de Stanislavski est celle que nous prônons dans les pages de notre site. Pour vous aider à l’appliquer, Lorraine vous suggère un questionnaire dans l’article L’étude du personnage de la rubrique Interprétation. Elle propose aussi dans l’article Bio d’un personnage : cinq sens  une grille analytique qui permet de forger une « biographie » crédible d’un personnage fictif à partir des cinq sens. Inventer une bio s’avère toujours un exercice utile pour créer des personnages « de chair et d’os ».

Et vous savez… l’étude avant le jeu, ça peut facilement devenir un jeu créatif amusant!


Suggestion de lecture La formation de l’acteur, par Constantin Stanislavski (1863-1938), créateur du Théâtre d’Art de Moscou. « Ce livre, ce Grand Livre, est une reconsidération totale de l’acteur. [L’auteur] dépouille […] l’interprète de ses vanités. Il le dévêt de ses clinquants. Il analyse sans pitié ses faux prestiges. Il détruit absolument le culot et son cousin, le cabotinage » (Jean Vilar, dans l’introduction de l’ouvrage). Un classique sur l’art du comédien, publié aux Éditions Payot.