Réalisme psychologique

 

Par Hervé Moulin

(Cet article fait suite à Perspective, moment et distance.)

Il apparaît également, dans les exemples de peinture qui m’ont servi à illustrer mon propos, que l’objectif du Tintoret était d’entrer à l’intérieur de la scène qu’il dépeignait, pour en comprendre les personnages et en montrer la réalité psychologique. Au contraire, dans les autres exemples que j’ai montrés, le peintre a eu avant tout le souci du public qui allait voir son œuvre, pas de ce qui se passait réellement sur la toile. Et cela aussi est pour nous une leçon de théâtre.

Examinons à nouveau les toiles :

NATIVITÉ

Présentation figée

 

Présentation dynamique

 

Voyez comme dans le premier tableau, les personnages sont exposés comme dans une vitrine, Marie et Joseph debout et séparés de chaque côté de l’enfant Jésus, pour qu’on en voie chaque détail. Mais psychologiquement, ça ne tient pas la route : Quels parents se tiennent ainsi, debout, à côté de leur bébé posé par terre ? Au contraire, dans le tableau du Tintoret, Marie et Joseph entourent l’enfant, le protègent, ils forment un groupe compact au même niveau que lui, même si l’on voit moins les trois personnages.

 

CÈNE

Présentation figée

 

Présentation dynamique

Pour montrer au public l’ensemble des apôtres, les peintres classiques les mettent tous en ligne le long de la table. Mais quand vous recevez vous-mêmes des amis, pour partager un repas dans une occasion importante, comment vous installez-vous ? Les uns en face des autres bien sûr, pour discuter, pour être proches les uns des autres. Là encore, la scène du Tintoret est psychologiquement juste, elle respecte son sujet plus que celle de l’autre peintre qui pense avant tout à dégager la vue pour ses spectateurs (qui n’existaient pas au moment de la véritable cène).

 

CRUCIFIXION

Présentation figée

 

Présentation dynamique

Regardez la place de Marie dans le premier tableau. Son fils est en train de mourir. Or elle est placée à un endroit où elle ne peut le voir que de profil, et plutôt mal, et où lui ne peut pas la voir du tout. Il n’y aura pas de contact, au moment suprême, entre ces deux êtres qui ont tant souffert et partagé ensemble. Par contre, on voit très bien Marie, on nous la montre à l’étalage ainsi que Jésus comme dans le tableau de la crèche. Regardez maintenant la crucifixion du Tintoret. Marie est là, presque de dos, bien en face de la croix. Ses yeux montent vers ceux de son Fils, qui descend son regard vers elle. Ça, c’est juste. Rien à rajouter.

 

Conclusion de Chantal: Quel défi stimulant, n’est-ce pas, que de faire du « neuf » avec du « vieux »? M. Moulin nous propose dans ces études de tableaux des pistes à explorer pour redonner vie à des textes souvent (hélas!) « usés » dans l’esprit de bien des gens. Quand il s’agit de mettre en scène le récit biblique, il faut certes respecter des contraintes techniques, mais nous pouvons surprendre et émouvoir nos spectateurs en les faisant entrer dans l’intimité des personnages – comme si on les invitait à pénétrer dans la maison en passant, non par la porte, mais par une fenêtre.

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