Évangile de Marc : découverte et mise en scène

Par Alain Combes

Découverte

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Un jour, dans le même temps, toute notre équipe de comédiens professionnels a fait la découverte du texte biblique. Ces paroles que nous lisions avec passion n’étaient pas comme les autres : elles bondissaient, elles faisaient « écho ». Si elles nous ont « touchés » et même « frappés », c’est que notre soif les appelait avec force. Mais leur écho était aussi une richesse d’images : nous voyions des événements et des personnages. L’écho donnait aussi la saveur des répliques, l’épaisseur des discours, la puissance des mots lâchés ici ou là tout au long de la Bible. Et encore plus, aussi grands que les mots : les silences, jamais indiqués mais que le texte suggère et que le lecteur attentif pressent.

Pour nous, hommes et femmes de spectacle, comment cette vie foisonnante pouvait-elle rester au bord de notre activité principale ? Nous avons voulu être la « caisse de résonance » de cette Parole qui bouleverse, lui livrer nos gestes, nos voix, le rythme de nos déplacements dans tout ce que nous présentions sur scène. Car la Bible est devenue « notre spectacle ». Non pas un spectacle pour échapper à la réalité du quotidien et se « divertir » de cette réalité, mais un spectacle pour – justement – saisir cette réalité. Et pour cela nous n’étions pas seulement les acteurs d’un texte, mais aussi les témoins d’un message. Ainsi, nous pouvions aborder l’Évangile de l’intérieur, c’est à dire que les mots, tellement intégrés, tellement «sus par cœur» en les entendant sortir de notre bouche, nous étions évangélisés les premiers, avant même les spectateurs. Nous « prêtions chair » aux personnages, un bref instant, le temps qu’ils nous effleurent, que nous en tirions leçon, que nous recevions un peu de ce qu’ils disaient de Dieu.

Rencontre

Et puis, il y a la rencontre sans cesse renouvelée avec Jésus. Jésus, qui est là au cœur de l’évangile d’une présence telle que c’est Lui, l’Évangile. Du coup, il n’est jamais un personnage, il est l’écho dont nous parlions au début, il est ce qui circule dans nos vies : les questions et les réponses, les attentes et les enthousiasmes, le rire et l’Espérance. Alors, s’il n’est pas un personnage, comment « prêter chair » à Jésus? C’est pourtant possible… puisque la grâce reçue à chaque représentation par ceux qui ont soif, c’est de sentir quelque chose de lui et d’apprendre un peu mieux à le connaître. 

Mise en scène

De ce contact violent et bouleversant pour nos vies est ressortie une pratique de mise en scène. C’est moi qui l’assumais, dans l’écoute de ce que notre équipe vivait. Au-delà d’histoires à raconter, il fallait mettre en scène le silence, c’est-à-dire d’abord apprécier « la trainée » des événements, leur résonance possible, puis laisser s’ouvrir les voies nouvelles que cette résonance suggérait. Il fallait laisser la place à ce qui pouvait se passer chez le spectateur devenu co-auteur.

 Ainsi, les gestes, les regards, les mouvements qui suivaient un silence devaient être portés, réinventés par ce que nous suggérait le texte. Et ce que nous donnions devait aussi être à l’écoute du public. Non seulement du public présent ici et maintenant, mais de nos contemporains croisés à chaque pas de chaque jour. En bref, nous voulions être à l’écoute du monde, de ses souffrances et de ses joies pour porter les paroles de l’Écriture et les laisser diffuser leur message. Il y a ce rendez-vous secret de chaque homme avec Dieu, et l’Écriture est le lieu de ce rendez-vous. Nous étions ceux qui disposaient l’espace et le temps pour ce rendez-vous. Le silence étant l’espace pour la réponse possible de chacun à la question du Dieu d’Amour : « Où es-tu? »

Concrètement : notre première expérience, l’Évangile selon Marc

 Les principes de travail de « Marc l’Évangile » étaient bien clairs… 

Adaptation et bases de travail

 Dans l’Évangile de Marc, le texte prend souvent la forme d’une narration ou d’un dialogue rapporté, pourtant, nous n’avons pas voulu le voir comme une alternance de récits, de dialogues et quelquefois de discours, mais nous avons voulu, sans trop nous soucier des formes, partir de sa « dynamique » de « parole pour tous ». Ce point de départ nous paraît d’ailleurs être celui de Marc qui annonce « la couleur » dès le début : « Commencement de l’Évangile concernant Jésus Christ, le Fils de Dieu… » (Voir aussi Jean : « Ceci a été écrit… ») À partir de là, nous essayions de laisser surgir les regards, les déplacements, les silences, même si le texte ne les mentionne pas. Car nous croyions que les récits rapportent des moments de vie, d’échanges, des réactions simples, que les dialogues naissent de situations, en bref que rien n’est fiction poétique. Notre rôle n’est pas de juger le texte mais de le laisser dire, avec nos corps, ce qu’il dit avec ses mots écrits.

 Ainsi, l’épisode du reniement de Pierre (Marc 14.72) résume le drame intérieur de Pierre en une courte phrase : « Et en y pensant, il pleurait. » Cette phrase se dit en deux secondes mais, dans notre mise en scène, nous avons choisi de développer cette prise de conscience de Pierre, et donc de nous rapprocher de la durée véritable de cette prise de conscience. On voit donc sur la scène le comédien se déplacer silencieusement pendant une minute et demie, et on peut sentir la progression « en lui » du drame intérieur.

 Rétablir des durées a été d’ailleurs notre souci primordial, tant il est évident que le texte ne mentionne pas à quelle vitesse on doit lire, les pauses qu’on doit faire, etc. Il est impossible de passer d’un événement à un autre sans laisser de temps, dès lors, il faut savoir mettre en scène ce temps, cette transition.

On en arrive donc assez vite à chercher les jointures, les liens entre les récits ou les dialogues et à « écrire » une série de silences qui permettent au texte de résonner, de rebondir, de se poursuivre. Ces silences sont des situations qui se prolongent ou s’appellent, sans être des scènes nouvelles rajoutées à l’Évangile.

Tous les déplacements sur scène sont pensés comme une chorégraphie, c’est-à-dire que les entrées, sorties, mouvements se vivent dans un rythme préétabli qui évolue au fil de l’action. Ainsi, nous tentons de mieux conduire l’attention du spectateur tout au long d’un texte dense et parfois surprenant. Le message de notre témoignage est indispensable : si l’Évangile est pour nous captivant, il doit apparaître captivant aux spectateurs.

Les quatre comédiens sont tour à tour un personnage ou un autre. Nous avons parfois un texte qui « éclate » dans plusieurs bouches, et d’autres fois, des dialogues plus intimes et personnalisés comme ils apparaissent dans l’Évangile.

 En ce qui concerne Jésus, les paraboles ou les phrases courtes qu’il prononçait sont dites indifféremment par un des quatre comédiens, hommes ou femmes; par contre, quand une situation nous fait retrouver un Jésus moins « paroles » mais plus « personne » nous avons préféré que Jésus soit un des deux comédiens hommes. Ce qui veut dire que deux comédiens sont alternativement Jésus. Non seulement ce choix ne gêne pas la compréhension, mais il est un élément très apprécié du public.

Jésus se reconnaît par ce qu’il dit et non par une apparence stéréotypée qu’on lui prête parfois. Jésus est Parole faite chair.

Une suite

Après « Marc l’Évangile », il y eut plus de vingt spectacles qui n’étaient pas des « mises en application » de nos principes de départ, mais qui s’en nourrissaient. Notre travail a toujours évolué, pour rester en prise avec le monde et sa sensibilité mais aussi pour rester en dialogue avec ce que nous devenions, nous et notre Foi. Nous, dans notre Foi.

À explorer

Article généreusement offert par Alain Combes

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